Salut,
J'ai fais l'expérience ces derniers temps de discuter avec trois personnes ayant des options pédagogiques différentes, voire opposées: une personne du GRDS, une personne de la pédagogie explicite (Gauthier, Bissonnette) et une personne de la pédagogie Freinet.
a) Ce qui m'a le plus marqué dans cette expérience, c'est que les trois sont persuadés d'avoir la pédagogie la plus efficace en particulier pour lutter contre les inégalités socio-scolaires.
b) Sur le plan des standards internationaux, qu'est-ce que c'est une "pédagogie efficace" ?
C'est une pédagogie dont l'efficacité a été prouvée par une accumulation de travaux (méta-analyse ou méga-analyse) selon les standards suivants:
- Groupe test/Groupe témoin, Pré-test/Post-test, échantillon éléatoire, publication dans revue internationale en anglais avec lecture en double aveugle.
c) Selon ces standards internationaux, quelle est la pédagogie la plus efficace pour lutter contre les inégalités sociales ?
La pédagogie explicite de Gauthier et Bissonnette. Voir entre autres l'article suivant:
Bissonnette Steve, Richard Mario, Gauthier Clermont. Interventions pédagogiques efficaces et réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés . In: Revue française de pédagogie, volume 150, 2005. pp. 87-141.
DOI : https://doi.org/10.3406/rfp.2005.3229
www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2005_num_150_1_3229
d) Maintenant est-ce que je dis qu'il faut adopter la pédagogie explicite de Gauthier et Bissonnette ?
Non,mais je ne pense pas qu'on gagnera la bataille en affirmant que nos méthodes sont les plus efficaces et en se posant sur ce terrain là. Car sur ce point, il faudrait accumuler un nombre d'études très conséquentes et les faire publier dans des revues internationales en anglais.
En revanche, il est possible de se poser les questions suivantes:
a) La pédagogie explicite de Bissonnette et Gauthier est efficace pourquoi ? Pour lutter contre les inégalités socio-scolaires, oui. Mais pas pour développer la conscience sociale critique. Ce n'est d'ailleurs pas dans ses objectifs...
b) La pédagogie explicite respecte-t-elle des pratiques éthique luttant contre la déshumanisation ? Non, en particulier dans la gestion de classe, il est proposé d'utiliser les filles comme instrument de gestion de classe en plaçant une fille/un garçon car c'est plus efficace. Sauf que c'est une instrumentalisation des filles qui sont transformées en instruments de gestion de classe...
Voilà les raisons pour lesquelles se placer sur le plan de la didactique (technique d'apprentissage) pour définir ce qu'est une pédagogie émancipatrice me semble vouer à l'échec...
Mais si quelqu'un veut démontrer le contraire, j'attends sa réponse...
à bientôt,
irène
Bonjour,
J'ai moi même été confronté à ce genre de problématiques en discutant avec des personnes pratiquant une pédagogie particulière (Freinet, Montessori...).
Ce qui est intéressant dans un premier temps est la passion qu'ont ces personnes pour le métier, la volonté de transmettre et de vouloir suivre un courant de pensée et de fournir un travail conséquent pour les élèves.
Ce qui peut après s'avérer dérangeant par la suite, c'est l'impossibilité de sortir "des sentiers" de leur propre pédagogie. En effet, pour avoir participé à des groupes Freinet, j'ai pu constater une fermeture d'esprit face à d'autres courant pédagogiques (Ex : Incompatibilité Freinet et pédagogies radicales...). Ces discussions peuvent s'avérer être réellement enrichissantes puisqu'un débat naît de cette confrontation de paradigmes pédagogiques, hélas, il en ressort généralement une assez grande fermeture d'esprit.
Enfin, je m'interroge également sur ces excellents enseignants, collègues dans mon école, qui ne considère pas appartenir à un courant pédagogique, mais qui fournissent pour autant un travail réellement intéressant avec les élèves.
Je pense que ces enseignants (généralement expérimentés, plus de 10 ans d'exp.) savent réellement ce qu'ils font et peuvent faire preuve d'une capacité d'adaptation très inspirante.
Salut,
Eh bien, vous n'êtes pas tombé·es sur les bons ! Je fréquente le groupe Freinet 2D d'île de France et quand j'ai parlé des péda critiques et radicales la dernière fois, les collègues se sont montré·es très ouvert·es et on a même décidé, pour le groupe de Lettres, d'en faire une perspective de travail systématique dans nos échanges, un biais pour donner « de la hauteur » à nos réflexions sur les pratiques. ;-))
De mon côté, je trouve qu'il n'y a pas /qu'il ne devrait pas y avoir de contradiction entre s'occuper de ce qui est notre quotidien : les apprentissages, l'organisation du temps, de la classe, du matériel et s'occuper des finalités de l'éducation (émancipation indidividuelle et sociale, esprit critique, conscientisation).
J'ai de plus en plus l'impression que « technique, technicien » et tout ce qui va avec deviennent des gros mots ou des mots tabous, comme si on voulait enlever à l'enseignant·e cette part de son métier ou en tout cas la dévaloriser. Or, il faut pas se mentir, bien sûr que nous sommes toutes et tous des technicien·nes ! Mais en même temps, évidemment que non, nous ne nous réduisons pas à ça. Quand je regarde autour de moi, surtout dans les divers cercles militants que je fréquente, je vois beaucoup de collègues qui sont à la fois des technicien·nes et des penseurs et penseuses de l'éducation et de la pédagogie : on imagine des pratiques, des scénarios, on rassemble et on crée des supports, des démarches, des activités avec des objectifs scientifiques (rendre notre discipline accessible : c'est là la didactique), des objectifs et des parcours d'apprentissage (pour les élèves, c'est là la pédagogie) et des visées critiques et sociales (pour les élèves, pour nous, pour la société : c'est là l'agir éthique) et tout cela forme la praxis car, par la réflexion et par l'action, nous cherchons à transformer le milieu dans lequel nous évoluons (l'espace classe, l'établissement, l'environnement, la société, technique de l'entonnoir ;-)))
Je n'arrive pas trop à comprendre pourquoi vouloir séparer tous ces aspects en en dévalorisant un en particulier.
Qu'il y ait hiérarchisation, que l'éthique soit prioritaire, soit, mais l'éthique a besoin des techniques (et j'insiste, pas une en particulier) pour exister, comme supports pratiques. L'éthique sans pratique n'est qu'idée générale qui ne convainc que les convaincu·es. Et le but, pour moi, est de faire en sorte de convaincre des non convaincu·es de la nécessité d'avoir une philosophie critique et radicale quelque part à l'esprit lorsque nous analysons les situations de classe et que nous imaginons les différentes manières de travailler, de construire l'année avec les élèves.
Par contre, je dis bien que c'est parmi les militants, qu'on les classe dans les militants pédagogiques ou dans les militants syndicaux, ou dans les deux pour les mouvements qui arrivent à faire cette synthèse et il y en a peu, donc je dis que c'est parmi les militants que je trouve cette alliance.
Chez d'autres collègues, je l'admets, c'est la technique qui les préoccupe avant tout mais je ne dirais pas comme tu dis Irène « qu'avons-nous à voir avec ces gens là ? » car je pense qu'il y a au moins trois raisons à cette prédominance de la préoccupation technique
- il y a les personnes pour qui c'est une éthique à part entière : on fait de la technique,d e l'efficacité, pour l'adaptation et l'insertion sociales, pour coller aux exigences des entreprises aussi. Là, ok, rien à voir avec ces gens qui ont clairement une autre vision de l'éducation que nous, incompatible.
- par contre, pour la majorité des personnes, c'est une question d'oppression (j'ose un mot fort) : oppression par les consignes ministérielles (cinquante réformes, des projets qui arrivent de partout, des journées m'as-tu-vu à tout bout de champ et comme un cheveu sur la soupe – je pense à LA journée de lutte contre le racisme et l'antisémitisme – à LA journée contre l'homophobie et la transphobie...) ; oppression par l'héritage pédagogique dont nous « bénéficions » tou·tes et dont nous n'arrivons pas à nous défaire ; oppression par les familles qui exigent, enfermées elles-mêmes dans leurs propres schémas, contradictions et peurs ; oppression par la peur de l'échec, celui des jeunes, le nôtre ; oppression par l'impression qu'il faut innover, tout le temps, partout...
Bref, tout ça pour dire que tous ces facteurs nous enferment, ferment notre horizon de réflexion, prennent tout notre temps et peuvent nous faire oublier la dimension sociale et critique de l'enseignement, nous empêcher de mener une réflexion de fond, construite, documentée, parce que nous sommes constamment en train d'essayer de gérer le quotidien, de faire avec celles et ceux que nous avons dans nos classes et avec les conditions dans lesquelles nous sommes forcé·es de travailler.
- enfin, et c'est lié à ce que je viens de dire, il y a les collègues qui se dépatouillent comme ils et elles peuvent avec le quotidien, formé des élèves, des injonctions, des programmes, des familles, de leurs expériences personnelles avec l'école et les apprentissages, de leur pacours personnel également. On fait comme on peut, on se débrouille avec des techniques qui fonctionnent à peu près et se remettre en question est extrêmement difficile parce que ça veut dire enclencher des changements parfois très importants dans un quotidien où déjà, on a du mal à trouver du temps pour respirer, pour se reposer tout simplement.
Imaginez la claque qu'on se prend avec la dimension critique et radicale de l'enseignement : on se rend compte qu'on a sans doute oublié une part essentielle de notre métier, qu'on a laissé de côté les élèves les plus démuni·es, l'aspect pauvreté, discrimination, sexisme... Imaginez aussi la grosse remise en question et la perspective effrayante que ça peut représenter que de s'engager dans un combat politique pour changer la société (parce que c'est de ça qu'on parle, en vrai) : un combat énorme, de longue haleine, avec des facteurs qui dépassent très largement le cadre de la classe et du quotidien et sur lesquels on se dit qu'on ne peut pas avoir de prise. Eh bien, tout ça, ça fait peur, bien sûr, et c'est sans doute une des raisons qui empêchent des collègues de s'y engager. C'est beaucoup plus rassurant de se dire qu'on va s'en tenir aux techniques, aussi imparfaites soient-elles, mais qui sont plus « maîtrisables », qui fonctionnent pour pas mal d'élèves et « c'est déjà ça » (oui, je déteste cette expression tellement tellement utilisée pourtant dans les salles des personnels...).
Au final, moi j'ai peur qu'en dévalorisant ainsi la préoccupation technique, dimension essentielle de notre métier (je suis très réservée sur la conclusion de cet article, par exemple : https://iresmo.jimdo.com/2019/03/05/la-domination-de-la-raison-instrumentale-en-p%C3%A9dagogie/), ça fasse penser à beaucoup de collègues que les pédagogies critiques et radicales, c'est juste du flan, de belles idées qui ne s'occupent pas de la mise en œuvre, de la mise en pratique. Or, la praxis, c'est bien les deux, non ?
C'est un peu comme les extraits du code de l'éducation : oui, ils sont essentiels et on va les mettre en salle des personnels à la rentrée. Mais... je sais que ça ne suffira absolument pas à convaincre. Au mieux, ça fera réfléchir quelques collègues, ça rappellera à d'autres pourquoi elles et ils sont devenu·es profs, mais pour beaucoup, ça restera une belle idée mais difficile à mettre en pratique, comme beaucoup de belles idées.
Oui, je sais, je ramène toujours tout à la pratique, mais c'est parce que quand je suis convaincue par une idée, ben... je la mets toujours en pratique et c'est comme ça que je vois les réussites, et les difficultés que ça crée. C'est comme ça qu'on a commencé tous nos échanges, d'ailleurs ! ;-))
Bonjour,
Merci pour ton message Jacqueline. Je pense que cela permet de mieux avancer dans la discussion.
Je vais essayer d'expliquer le plus clairement et simplement ma position pour essayer de lever ce qui me semble être un malentendu sur un point:
a) La notion de technique: une technique c'est un moyen qui a pour fonction de réaliser efficacement un but, une finalité.
b) Entre nous, il n'y a pas de divergences sur les finalités. On désire l'émancipation sociale. Au moins, on a pas débattre de cela :))
1) Les problèmes que je perçois à faire de la pédagogie un ensemble de techniques fussent-elles orienter vers une finalité d'émancipation sociale.. Ces deux problèmes, il faudrait que vous (ceux qui sont pas d'accord avec moi) puissiez y répondre pour pouvoir contester ma position:
a) Il faut être en capacité de mesurer l'efficacité d'une technique. Or sur ce plan, je pense que nous n'aurons pas l'avantage. L'efficacité d'une technique est mesurée par des méthodes techno-scientifiques. (Je l'ai déjà expliqué). Comment allez-vous faire ?
b) Si la pédagogie c'est un ensemble de techniques en vue d'une fin d'émancipation sociale alors "les fins justifient les moyens". Cela veut dire qu'on pourrait utiliser un moyen efficace, même immoral, pour arriver à une finalité. C'est ce que Paulo Freire appelle les méthodes anti-dialogiques comme par exemple "la manipulation". Il y a des tenants de l'éducation nouvelle qui ont eu par exemple recours à la notion de "ruse pédagogique". Donc si pour vous la pédagogie est une question technique, qu'est-ce qui vous empêche d'agir en réduisant l'autrui à un simple moyen pour attendre votre but ?
2) Ma position
a) Je suis d'accord avec toi que la pédagogie ne peut pas se réduire à des idées, qu'elle implique une action.
b) Or il me semble qu'il y a un malentendu entre nous qui vient de ce que certains philosophes appellent "la colonisation du monde vécu par l'agir instrumental". En gros, on arrive plus à penser l'action autrement que sous forme technique. Ce qui équivaut la poiésis et non à la praxis.
c) La praxis: c'est bien la théorie et l'action. (action et non technique).Donc il s'agit ici d'un agir ethique et non d'un agir technique. Pour moi, la pédagogie c'est l'agir ethique. Et l'agir technique c'est la didactique. Le rôle de l'agir éthique est de normer l'agir technique. Il y a donc bien une part technique dans l'enseignement (c'est la didactique). Mais la pédagogie n'est pas dans l'ordre de l'agir technique. Elle est de l'ordre ethico-politique. En gros, elle s'occupe de deux questions: comment agir de manière éthique en éducation ? Quelle est la finalité en éducation ?
De manière concrêt: Je renvois en particulier au livre Emanciper pour apprendre, apprendre pour émanciper (Cornett et De Smett) qui me semble se situer davantage au niveau de l'agir ethique que de l'agir technique
(ce n'est pas la première fois que je donne des exemples concret d'ailleurs, mais vous faites comme si je n'avais rien dit: les filles et les garçons en pédagogie explicite, les cas pratiques en socio-éthiques que j'ai proposés...)
Je vais prendre un autre exemple concrêt sur lequel je crois pouvoir ne pas trop dire de bêtise pour me faire comprendre: la discussion à visée philosophique.
a) Pour moi, l'approche qui domine en philo pour enfant est très technique et procédurale (ex. Tozzi). En gros, pour un prof faire de la discussion à visée philosophique c'est mettre en place un ensemble de procédures techniques: distribuer des rôles aux élèves, faire un certain type d'interventions techniques... L'objectif est de développer trois compétences: conceptualiser, problématiser, argumenter.
b) Le premier problème que je vois: c'est qu'à trop focaliser sur la technique on oublie le fond: on a une belle procédure de discussion, mais la discussion de fond est vide si l'enseignant n'a pas une visée qui est de développer la conscience critique. Cela suppose que l'enseignant ait lui-même réfléchit à ce qu'est la conscience critique. S'il fait de la pédagogie critique, il faut même qu'il ait une idée de ce qu'est la "conscience sociale critique" et de ce qu'est la conscientisation. Il faut qu'il ait compris la différence entre une "conception interindividuelle de la société" (conscience première) et une "conception en termes de rapports sociaux" (conscience critique).
c) Mais l'agir éthique se situe encore à un autre niveau: Il m'est arrivé plein de fois, quand j'étais professeur de philo en lycée ou même à l'ESPE, d'avoir des discussions (à portée philosophique) sans aucune procédure technique particulière. Qu'est-ce qui a rendu possible cela ? C'est l'agir ethique. Cela se traduit par l'ouverture au dialogue, de la capacité à écouter l'autre et à respecter ce qu'il dit sans le déformer, à reconnaitre ses erreurs dans la discussion, à expliquer sa position clairement et simplement...
Toutes ces qualités humaines éthiques me semblent bien plus importantes que toutes les techniques pour être un prof. C'est l'oubli de cela que j'appelle la colonisation du monde vécu par l'agir instrumental en pédagogie.
L'agir éthique c'est sur cela que l'on devrait se concentrer avant tout dans notre pratique et ensuite se demander si nos techniques sont en accord avec cet agir ethique: qu'est-ce qu'une sanction éducative ? qu'est-ce qu'une notation juste ? qu'est-ce qu'une différentiation pédagogique équitable ? ect... Parce que le seul moyen de limiter l'injonction à l'efficacité (fusse une efficacité déshumanisante), c'est l'éthique: y-a-t-il des valeurs au-dessus de l'efficacite ? Doit-on rechercher l'efficacité à tout prix ?
La finalité de conscience critique sociale: elle nous conduit en outre à nous demander: qu'est-ce que lire de manière critique (et pas seulement déchiffrer) ? Quels sont les enjeux sociaux des mathématiques et des sciences (et pas seulement savoir faire techniquement des math et des sciences) ? ect...
L'association de l'éthique et de la conscience sociale critique: c'est cela la pédagogie critique (l'action pratique et les fins théoriques)
à bientôt,
irène
PS: Sinon, j'ai pas que des mauvaises expériences avec des pédagogues Freinet:
J'ai rencontré hier un prof de didactique à la fac, ancien élève d'une école Freinet et ancien instit. Freinet. Je lui ai demandé c'est quoi pour lui la différence entre la didactique et la pédagogie:
Il m'a dit: La didactique c'est la science des techniques d'apprentissage. La pédagogie c'est la science de la relation.
Je suis assez d'accord avec cette deux définitions. Car il ne peut pas y avoir de relation entre des êtres humains sans ethique.
PS2:
Pour décentrer un peu, le regard, je voudrai faire un parallèle avec le secteur médical:
Quand on est infirmière ou medecin, il y des savoirs faire techniques. Mais il y a tout une part de la formation en ethique des infirmières par exemple qui concerne "la relation de soin".
Voici un des enjeux de cette problématique actuellement en medecine:
Intelligence artificielle : le médecin peut-il être (en partie) remplacé par une machine ?
31.01.2018
Quel peut-être l’apport du numérique dans l’exercice de la médecine et dans la prise en charge des patients ? Dans un livre blanc qu’il publie sur le sujet, l’Ordre des médecins constate les progrès réalisés dans ce domaine. Les algorithmes se montrent aussi performants que les praticiens pour détecter les rétinopathies diabétiques ou pour distinguer les grains de beauté des mélanomes... les robots assistent les chirurgiens dans les opérations délicates… Mais l’Ordre souligne également l’importance des relations humaines dans la médecine. L’empathie et la compassion envers les patients restent, encore pour un temps, l’apanage des femmes et des hommes.
Il me semble qu'il faut vraiment se demander ce qui fait l'humanité de notre métier, car si nous le réduisons à un agir technique, alors on aura aucun mal à nous remplacer par des robots...
Bonjour Irène, bonjour à tout-es,
A l'uni aussi technique contre éthique
Je raccroche les wagons après la bataille, mais j'ai l'impression à vous lire (et j'espère ne pas l'avoir fait trop vite) que vous placez le débat didactique contre pédagogie ou technique contre éthique dans une expérience d'enseignement avant l'université? Dans mon expérience d'enseignante à l'université ("civilisation" états-unienne) le problème majeur c'est que la pédagogie ou l'intérêt pour l'enseignement a mauvaise presse et que lorsqu'il y a de l'intérêt effectivement il est éviscéré de toute préoccupation éthique (moi je risquerai le mot politique ici). Mais dans les, rares, cas où l'on essaie de faire se rencontrer les deux, on a tellement peu d'instruments techniques à disposition que l'on finit par abandonner. Le travail de longue haleine que nous essayons de débuter avec AIRECA (voir un exemple de plan de cours ici https://sites.google.com/view/aireca/lesson-plans/womens-history), c'est donc d'offrir des instruments techniques passés au crible d'une critique pédagogique la plus poussée possible (je voudrais réussir à mettre des commentaires éthiques sur chaque technique proposée...ça va venir). On n'en est qu'au début mais si on réussit à épargner à quelques jeunes et moins jeunes collègues qui sont sensibles à cette vision de l'éducation, le pénible tâtonnement que nous vivons, ce sera déjà une bonne chose. Ni imposer des techniques, ni donner des recettes, mais proposer des modèles vraiment concrets et clairs à suivre ou ne pas suivre, à refaire à sa sauce en tout cas mais qui j'espère auront le mérite d'aider les autres à ne pas se fourvoyer comme nous pendant des lustres sur des pistes éthiquement indéfendables simplement parce que comme nous ils n'ont pas eu le temps et la formation suffisante pour faire mieux.
L' humanité
Et pour finir sur le thème central de l'humanité. Pour ne pas la perdre, il faut lui laisser le temps d'exister. Or l'augmentation des effectifs assortie d'un manque de techniques didactiques éthiques adaptée au grands groupes crée un immense malaise, une vraie déshumanisation avant même l'apparition des robots. De ce fait ma position demeure simple, j'essaie de rester ouverte à toutes les techniques, à tous les mouvements pédagogiques dès lors qu'ils m'aident à conserver le bonheur (le mien et celui de mes étudiant-es) comme horizon. Qu'est ce que le bonheur en éducation, voilà d'ailleurs une question trop peu posée à mon sens.
A bientôt, Emilie
Merci pour ces remarques,
je comprends le besoin de beaucoup de collègues pour la demande d'outils didactiques (dans mon vocabulaire "agir technique"). D'ailleurs, j'ai répertorié beaucoup d'outils didactiques sur les différents supports que j'anime:
- voir Les cahiers de pédagogies radicales (rubrique Praxis - https://pedaradicale.hypotheses.org/category/praxis/pratiques)
ou encore sur Twitter: https://twitter.com/i/moments/1117351350122291201
Ma position n'est pas de considérer que c'est inutile, mais que dans notre société, la technique doit retrouver sa juste place, à savoir ne pas imposer une domination hégémonique à la pensée (voir l'école de Francfort la critique de la domination de la raison instrumentale, voir la critique que fait Henry Giroux à ce sujet, à ce propos je ne sais pas si vous connaissez Teachers as Transformative Intellectuals, c'est vraiment pour moi un texte très important: https://eric.ed.gov/?id=EJ317521
Ma position n'est pas une lubie personnelle, elle est partagé par Paulo Freire dans plusieurs textes, en particulier destiné à un public états-unien:
- 1987: https://iresmo.jimdo.com/2019/02/13/paulo-freire-p%C3%A9dagogie-enqu%C3%AAte-et-non-recettes/
- 1996: https://iresmo.jimdo.com/2019/04/15/eduquer-l-%C3%A9ducateur/
Lorsque je parle d'éthique, je parle d'une éthique bien particulière que j'appelle socio-éthique et que Paulo Freire défini de la manière suivante:
" Je suis professeur pour soutenir constamment la lutte contre toute forme de discrimination, contre la domination économique des individus ou des classes sociales. Je suis professeur pour me manifester contre l’ordre capitaliste vigoureux qui inventa cette aberration totale : la misère dans l’opulence. " (Paulo Freire, Pédagogie de l'autonomie)
Dans son dernier livre, Paulo Freire ne fait mention d'aucune technique et méthode, mais il utilise 156 fois le mot "éthique".
Ce que je veux surtout dire c'est que la démarche éthico-politique doit toujours prendre le pas sur la dimension technique, sur une visée purement instrumentale. Car une visée avant tout instrumentale sera aisément récupérable par le néolibéralisme.
Donc oui, il peut y avoir une didactique de la pédagogie critique et des pédagogies radicales. Et cette didactique critique peut avoir sa place dans ce groupe. Mais celle-ci doit, à mon avis, être subordonnée à une éthique à savoir un projet éthico-politique au risque sinon d'une déshumanisation de l'éducation.
Certes, je suis d'accord avec vous que l'université manque de moyen, mais je ne suis pas certaine que cela trouve sa cause dans un manque de moyens techniques, ni que ce soit une réponse technique la solution. Il me semble que la solution se trouve dans le fait de combattre le capitalisme et en particulier aujourd'hui sa forme néolibérale. D'où l'importance de la conscientisation.
Pour finir sur la question du "bonheur", je renvoie là au texte, que j'ai mis sur ce forum "Ellul critique de Montessori" qui interroge le lien entre bonheur, émancipation et liberté: https://app.agorakit.org/groups/357/discussions/1046
Amicalement,
Irène
PS: Par exemple, je ne pense pas que la pédagogie de Lancaster soit émancipatrice en soi, sur ce plan, j'aurai tendance à me situer dans la continuité de Michel Foucault - https://books.openedition.org/europhilosophie/177
Je pense que nous sommes absolument d'accord sur la hiérarchie éthique avant technique, mais la divergence se trouve dans la manière d'envisager le danger.
La solution n'est pas une réponse exclusivement technique, ou qui se laisserait dévorer par la technique, là-dessus nous somme aussi d'accord mais il y a un fort danger à abandonner cette même technique aux dynamiques et discours néolibéraux. Autrement dit, si les enseignant-es qui cherchent de l'aide sur le plan technique ne trouvent que des réponses néolibérales, ils ne s'ouvriront jamais à la pédagogie critique. Pourquoi Teach Like a Champion est-il un succès de libraire et pas le dernier ouvrage de Giroux ou de McLaren? Parce que les enseignant-es cherchent souvent en premier lieu des réponses techniques, concrètes dont ils et elles pensent qu'elles les aideront tout de suite. Il faut du temps pour arriver à Freire.
Si en revanche on s'efforce de décoloniser le terrain technique et de le réinvestir de manière critique, en proposant des outils hybrides on peut battre l'hégémonie actuelle à son propre jeu. Ce n'est pas une stratégie facile mais ça vaut le coup d'essayer. La très belle phrase d'Audre Lorde, "The Master's Tools will never dismantle the master's house" me conduit à penser que c'est une didactique toujours consciente des enjeux éthiques, ou une didactique fermement soudée à la pédagogie qui offrira ce changement d'outils et permettra de démanteler "la maison du maître" aka la forme néolibérale du capitalisme.
Merci pour le lien sur le bonheur, je vais regarder ça de ce pas. Tu connais l'ouvrage de Noddings Happiness and Education? Il est très intéressant aussi. Notamment son rejet total de la souffrance comme instrument pédagogique pour nous qui sommes élevé.es au "Nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert", je trouve que le changement de paradigme est bienvenu!
Amitiés
E.
PS: On est d'accord aussi sur la pédagogie mutuelle (Lancaster etc...) (qu'il faudrait appeler ici didactique mutuelle pour être cohérentes avec nos termes). En soi, elle n'assure pas la conscientisation ou l'absence de discrimination. Mais la réciproque est tout aussi problématique: faire un cours magistral sur le racisme, le sexisme etc... c'est chercher pour le coup à démanteler la maison du maître avec ses outils et c'est donc voué à l'échec. Et moi c'est ce deuxième problème que j'observe trop souvent chez mes collègues universitaires, pas le premier.
Bonjour,
Merci pour ce message, car je pense que cela nous permet d'aller plus en profondeur dans la discussion et de mieux éclaircir les positions pédagogiques et la philosophie de la pédagogie qu'il y a à mon avis derrière la pédagogie critique.
Dans le livre de Pallota, c'est pas à lui auquel je faisais référence, mais au fait qu'il rappelle la position de Foucault sur l'école mutuelle. Foucault ne partage pas la thèse de Querrien: l'école mutuelle est pour lui une institution disciplinaire comme la prison ou l'asile. Un lieu de production du contrôle des corps par un dispositif technique. L'école mutuelle est avant tout tourné vers l'efficacité technique.
Je réponds à ton message, mais je ne suis pas certaine d'être d'accord avec ta position (mais rassure toi être en divergence avec des personnes, cela ne me pose pas de problème). Mais j'aimerai éclaircir le point de divergence.
a) Je ne suis pas certaine de vouloir être populaire en vendant aux personnes qu'ils vont "devenir de champions de l'enseignement". C'est pour moi une logique capitaliste et de performance avec laquelle je ne suis pas d'accord. Et s'il faut continuer à être peu nombreux en n'appellant pas ses livres "devenez des champions", et bien je l'accepte. Car je ne pense pas qu'il faille chercher le succès à tout prix. Et c'est cela pour moi l'éthique: on ne fait pas n'importe quoi pour avoir du pouvoir ou de l'argent. Donc si Giroux n'a pas beaucoup de lecteur parce qu'il préfère être fidèle à ses valeurs, cela ne me dérange pas. Au contraire, je l'admire pour cela, pour son intégrité.
b) Moi, je ne suis pas d'accord avec la société de l'efficacité et de la performance. Et donc je ne suis pas près à donner cela aux gens juste pour être connu. Et je ne pense pas que Freire ait été prêt à vendre des techniques efficaces juste parce que c'est cela que les gens attendrait dans le système néolibéral et que peut être après il s'interesseraient peut être à ses idées.
c) Personnellement j'aspire à un autre rapport au monde et aux êtres humains que ce type de valeurs de l'efficacité et de l'argent.
d) Je ne pense pas que l'on peut "hacker le système" avec la technique. On ne renversera pas la maison du maitre avec les outils du maitre. veut dire pour moi, on ne le renversera pas avec les mêmes méthodes.Mais en quoi ces méthodes sont différentes ? Il me semble qu'il y a ceux qui sont prêt à tout pour arriver à leur fin, par exemple pour gagner de l'argent. Il y a des personnes qui considèrent qu'on ne peut pas utiliser tous les moyens. On doit alors choisir ses moyens en fonction des valeurs que l'on défend.
e) Je ne suis pas certaine de comprendre "outils hybrides". Mais pour moi, les outils sont des moyens. Les outils nouveaux sont souvent produit par la contre-culture S'ils sont efficaces, ils sont récupérés par le néolibéralisme (voir le livre La révolte consommée).
La vraie question est: Quelle est la différence entre les outils lorsqu'ils sont utilisées à une visée d'émancipation ou d'aliénation ? Ce qui les distinguent, c'est les valeurs avec lesquels ont les utilisent. On ne fait pas n'importe quoi et de n'importe quelle manière avec ces outils.
Justement je ne pense pas que l'on puisse battre l'hégémonie actuelle à son propre jeu avec ses méthodes, c'est à dire en se situant sur le champ de la performance technique. Imaginons que nous publions le livre: Devenons des champions de l'enseignement avec la pédagogie critique. Déjà, je ne suis pas d'accord avec l'idéologie du titre... Mais, que se passerait-il ? Le néolibéralisme reprendrai ce qu'il y a d'efficace dans les techniques et les mettrai au service de son idéologie. Il n'en reprendrai ni les finalités, ni les valeurs.
La technique n'est qu'un moyen au service des fins qu'on lui donne. En soi elle n'est ni bonne, ni mauvaise. La technique elle vise simplement l'efficacité. Et personnellement, je ne pense pas que l'émancipation réside dans la pure efficacité.
De même je ne pense pas que l'émancipation réside dans la recherche de l'absence de souffrance. L'économie néolibérale repose sur un calcul utilitariste des peines et des plaisirs. Elle considère que l'objectif de l'existence c'est d'éviter la souffrance en cherchant le plaisir dans l'acquisition de biens de consommation. A ce rythme, on peut même aller vers le transhumanisme et acheter l'évitement total de la souffrance. Mais ce n'est pas le plus haut but de l'existence pour moi. Car sinon aucun résistant ne serait mort sous la torture pour les valeurs auxquels il croit.
Je suis désolée, mais pour moi la pédagogie critique, qui se situe dans la continuité de la Théorie Critique (l'Ecole de Francfort) implique une réflexion et une critique des présupposés du technolibéralisme capitaliste: performance, utilitarisme, hédonisme de la consommation, rentabilité...
Il me semble qu'il faut vraiment décoloniser notre esprit du néolibéralisme et de ses valeurs, et se demander en quoi consiste une éthique de l'émancipation en pédagogie.
Mais il faut comprendre que ma critique peut être compatible avec une réflexion sur les techniques. Par exemple quelle est la différence entre l'open source et le logiciel libre. Sur le plan technique, cela semble être la même chose. Mais l'éthique n'est pas la même. Voir: https://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.fr.html
Extrait du lien: "Certains des partisans de l'open source considéraient cela comme « une campagne marketing pour le logiciel libre » qui séduirait les cadres des entreprises en mettant en relief ses avantages pratiques, tout en évitant les idées de bien et de mal que ces cadres pouvaient ne pas apprécier. D'autres partisans rejetaient catégoriquement les valeurs morales et sociétales du mouvement du logiciel libre. Quel que fût leur point de vue, ils n'ont ni mentionné ni préconisé ces valeurs pendant leur campagne pour l'open source. On associa rapidement « open source » à des idées et des arguments basés sur des valeurs utilitaires comme la fabrication ou la possession de logiciels puissants et fiables. La plupart des défenseurs de l'open source se sont depuis ralliés à ces idées et ils continuent à faire cette association. La plupart des discussions sur l'open source ne s'intéressent pas au bien et au mal, seulement à la popularité et au succès."
Je pense qu'il faut vraiment réfléchir à toutes ces implications philosophiques qui sont sous-jacentes à l'esprit du néolibéralisme.
Amitiés,
Irène
PS: J'ai aussi des divergences avec Rancière, pas sur l'égalité des intelligences, mais sur d'autres points. Il y a des divergences entre Rancière et Freire sur le plan philosophique. Rancière considère que le savoir du maitre est un obstacle à l'émancipation de l'élève. Alors que Freire pense que les deux ont un savoir, mais de nature différente. La confrontation entre leurs savoirs produit un processus de co-émancipation.
PS2: Pour compléter car je n'avais pas vu la fin du message à cause d'un bug:
- On n'émancipera pas simplement en faisant une pédagogie innovante techniciste
- On n'émancipe pas seulement non plus en faisant un cours dogmatique sur le sexisme et le racisme.
- Ce qui de mon point de vue assure l'émancipation dans une pédagogie se sont la combinaison de trois éléments:
a) Les connaissances critiques: sciences sociales critiques par exemple
b) Des finalités liées à un projet d'émancipation sociale (luttes contre les inégalités, les discriminations, démocratie radicales...)
c) la mise en oeuvre d'un agir éthique qui font que les moyens techniques (didactique) qui sont choisis sont en accord avec les finalités. Par exemple, on ne peut pas visée la démocratie avec des pratiques pédagogiques anti-démocratiques (sachant que chez Paulo Freire, la liberté démocratique est un juste milieu entre l'autoritarisme et le laxisme)...
Or il me semble que la plupart des discours pédagogiques (exception faite de Paulo Freire), néglige la réflexion éthique, pour aller directement à la recherche d'une efficacité didactique qui suffirait à justifier l'usage d'une pratique. Or ce qui de mon point de vue la justifie c'est le fait qu'elle respecte l'apprenant comme un sujet et ne le réifie pas en objet.
Or même dans les pédagogies issues de l'éducation nouvelle, ce n'est pas gagné. Il suffit de voir toute la thématique depuis Rousseau jusqu'à des auteurs récents de la thématique des "ruses éducatives". Mais ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres.
PS3: Pour essayer vraiment que cette question soit plus claire:
Je me permets une précision sur notre échange, car j'ai l'impression que peut-être ma position n'est pas bien comprise.Ce que je critique:
a) c'est la croyance que la technique est émancipatrice (cela je pense que c'est clair ;))
b) Je ne pense pas qu'une technique soi en soi émancipatrice: par exemple on peut pratiques de la pédagogie nouvelle au service du néolibéralisme (ex: par exemple la première école nouvelle en France (1898), l'école des Roches, avait pour vocation de former une élite entrepreneuriale (jusqu'ici je crois que mon propos était clair...)
c) Mais quand on dit qu'on est contre une pédagogie traditionnelle et qu'on promeut plutôt une pédagogie nouvelle c'est pour qu'elle raison ? Si c'est seulement pour des raisons d'efficacité, alors il n'y a pas de différence avec le néolibéralisme. Si c'est pour des raisons éthiques, alors il y a une différence avec le néolibéralisme. Donc ce qui est en définitif émancipateur dans une pédagogie ne réside pas dans la technique, mais dans l'éthique qui nous fait choisir telle technique plutôt qu'une autre.
Ensuite, on peut développer des techniques qui soient en accord avec notre éthique. Mais si l'on accorde une valeur émancipatrice intrinsèque à la technique, alors je pense que l'on commet une erreur à mon avis.