Bonjour,
Je pense important que l'on mette en place entre nous un fil sur la manière dont la pédagogie peut lutter contre les inégalités de classe sociale à l'école.
Un de mes craintes, c'est que la pédagogie critique tende à se focaliser que le genre, le racisme et les LGBTIphobie et que l'on néglige la classe sociale comme c'est le cas aux USA.
Or l'école française est celle qui reproduit le plus les inégalités sociales à l'école.
Pour lancer la réflexion, je vais prendre trois angles:
- en primaire, lorsque l'on aborde en EMC, les discriminations on ne parle pas généralement de la pauvrophobie en France, peu de supports sur la question.
- dans les supports scolaires, la représentation des classes populaires ou des personnes pauvres n'est pas non plus évidente. Ils sont sous-représentés dans les médias également.
- enfin, se pose la question des pratiques pédagogiques pour lutter contre les inégalités sociales. La sociologie des inégalités sociales à l'école à développer toute une réflexion là-dessus (comme par exemple ESCOL): quelle place on lui donne ?
Cela m'interesse d'avoir votre avis sur cette question...
à bientôt,
irene
Salut,
J'adore ce groupe de réflexions, vraiment !
Je t'avais dit, Irène, à propos du plan de travail, que la réflexion sur les inégalités sociales (socio-scolaires du coup, pour utiliser le mot juste), chez moi, n'était pas encore aboutie. J'essaie de voir, dans les différentes pratiques (les miennes, celles d'autres personnes) quelles formes la lutte contre les inégalités socio-scolaires peut prendre. Je vous ferai une synthèse plus tard.
Du coup, créer ce fil est une très bonne idée pour poser les constats, les questions, et y réfléchir ensemble.
Ma réflexion va partir un peu dans tous les sens (je préviens !) :
Concernant la pauvrophobie : je dirais que l'une des conséquences, c'est que les élèves peuvent avoir honte d'être pauvres (ça me perturbe toujours cette réaction défensive, un peu brutale, qu'elles ou ils ont lorsque, n'ayant pas acheté le livre à étudier, je leur demande, en privé bien sûr, s'il y a un souci, s'il y a besoin de l'aide du collège...)
Ça va de pair avec la fiche de renseignement pour connaître le métier des parents. Vendredi dernier, j'entendais vaguement un collègue d'EPS raconter avoir pris le carnet d'une élève parce qu'elle refusait, assez violemment apparemment, de lui indiquer la profession de ses parents...
Ça va de pair avec le « on vit dans la cité » et tous les sous-entendus que les élèves y mettent (et les projections que nous, adultes, y mettons aussi). Alors que des situations de pauvreté, il n'y en a pas que dans les cités, mais aussi dans les petits villages de campagne dont on accueille aussi les jeunes.
Ça va aussi avec la honte/gêne que certain·es peuvent avoir de leurs propres parents quand on les reçoit en entretien, qu'ils parlent un français incorrect (ou avec un accent), ou évoquent des situations de précarité, de chômage. Je vois le regard inquiet des enfants sur moi, ou leur sourire du genre « je suis désolé·e » ou leurs efforts pour traduire des paroles que je comprends pourtant parfaitement.
Peut-être est-ce le fait de ne pas en parler, d'en faire un sujet tabou quelque part, qui crée cette gêne chez les jeunes.
Spontanément, j'ai de nouveau deux plans différents qui me viennent (j'ai l'impression que ces deux plans sont toujours à travailler en parallèle dans les pédagogies critiques et radicales) :
- conscientisation, chez les profs, avec déconstruction de postures, de discours... (par ex, que les collègues comprennent que non, entre un·e élève qui vit dans un 3 pièces avec ses parents et 4 frères et sœurs, et un·e élève qui vit dans une maison au calme et qui a sa propre chambre, les conditions d'études ne sont pas les mêmes.)
De plus, les collègues ne se sentent peut-être pas concerné·es par ces questions. Ou alors non, je vais le dire autrement : il y a des collègues qui estiment qu'une fois à l'école, portail fermé, tout le monde a la même possibilité de comprendre, d'apprendre et de réussir et que l'enseignement offert à tous et toutes devrait suffire à se dédouaner d'une réflexion plus approfondie sur les inégalités sociales/ socio-scolaires qui demeurent des obstacles à la réussite de tou·tes.
- côté classe/élèves : conscientisation également des différentes situations de chacun·e mais aussi dans l'environnement proche, dans la société.
+ travail des profs pour la réduction des inégalités : qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce que ça implique comme attitude, comme activités à proposer... ? (c'est ça que je suis en train de creuser)
Tiens, j'en profite pour partager une interrogation/ réserve : dans la mise en œuvre, en classe, quelque chose me questionne beaucoup. On dit toujours que c'est mieux de travailler en petit effectif (classes plafonnées à 24-25 par ex, ou demi-groupes). Le souci que j'ai, c'est que même quand on a de petits effectifs, on n'arrive pas forcément à une meilleure réussite, à de meilleurs résultats scolaires pour tou·tes parce que réduire le nombre d'élèves par classe ne suffit pas, s'il n'est pas accompagné de pratiques différentes, prenant en compte tous les facteurs d'inégalités scolaires sur lesquels nous travaillons dans ce groupe (je crois!).
C'est une réflexion que j'aimerais bien lancer dans mon collège. Parce qu'en cette époque de conseil d'administration où il faut mener des luttes pour défendre nos moyens, en obtenir davantage pour que les effectifs n'explosent pas, je me sens toujours entre deux : d'un côté oui, lutter car je sais qu'avoir des classes à 28, de toute manière, c'est ingérable. D'un autre côté, l'envie de dire aux collègues que faire cours sans tenir compte des besoins des élèves, de leurs difficultés, des inégalités qui se jouent en classe, à 28 ou à 24, il n'y aura pas plus de progrès scolaire pour les plus démuni·es. Mais j'y réfléchis encore, pour que ça ne se soit pas trop frontal... déjà que le petit questionnaire sur les conseils de classe distribué juste avant les vacances a fait réagir quelques collègues...
Les gros gros écueils à une pédagogie luttant contre les inégalités socio-scolaires :
- « et les bon·nes, on en fait quoi ? Elles et ils s'ennuient... » discours des chef·fes d'établissement comme des collègues, comme des parents. On est encore terriblement dans une logique d'élite à cultiver/choyer et d'impression qu'on ne parle que des élèves en difficulté. Mais ça vient aussi d'une mauvaise compréhension, selon moi, de ce qu'est la différenciation (ces personnes pensent qu'on différencie pour les élèves en difficulté alors qu'on différencie pour tout le monde, en créant des routes différentes pour atteindre le même point). J'aimerais bien écrire quelque chose là-dessus aussi, pour clarifier, déconstruire les a priori...
-les devoirs à la maison : tradition ancrée mais qui, pour moi, contribue à creuser le fossé entre les élèves accompagné·es et les élèves seul·es. Mais devoirs réclamés par l'institution, par la hiérarchie, par les parents, par les élèves parfois, et surtout par les collègues. Passage obligé de l'apprentissage, de l'ancrage des savoirs, les devoirs sont pourtant inégalitaires au possible (conditions de travail pour faire les devoirs / une personne présente ou non pour aider, expliquer, ou ne serait-ce que vérifier que l'élève est en train de faire ses devoirs...).
Je ne sais pas dans le 1er degré, mais dès le collège, la pression de l'après : l'après collège, l'après bac, l'avenir professionnel. La pression qui fait qu'on veut que son enfant se distingue, s'élève au-dessus des autres.
Vous croyez qu'on pourrait aussi bosser du côté des familles ? Mais je m'emballe...
Voilà pour l'instant!
Je précise juste l'expression "socio-scolaire": c'est moi qui l'utilise, parce que je trouve que l'on a tendance à parler des inégalités sociales, puis des inégalités scolaires, mais souvent en oubliant que les inégalités scolaires sont en lien avec les inégalités sociales. Alors que la France est de tous les pays développés celui qui reproduit le plus les inégalités de classe sociale à l'école.
Tes collègues pourraient réfléchir à l'article L.111-1 du code de l'éducation sur lequel je fais réfléchir les étudiants: "L’article L 111-1 : « L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de l'éducation (...) contribue à l'égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfant partagent la capacité d'apprendre et de progresser. Il veille à l'inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l'école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale ».
Sur la question des manières de faire pour lutter contre les inégalités sociales dans les pratiques pédagogiques, pour ma part, je pense à ce qu'à écrit le Président du GFEN, Jacques Bernardin dans un article: " Une pédagogie active telle que nous l’entendons, soucieuse de dévoiler le dessous des cartes du travail intellectuel, rompt avec l’implicite qui concourt à perpétuer les inégalités mais aussi avec « l’instruction directe » qui met l’apprenant sous coupe réglée du maître à penser.
Avoir le souci de clarifier les choses, de déplier les façons de faire, de dévoiler les procédures : cela revient moins à l’enseignant en préalable des situations d’enseignement qu’aux élèves, sous sa conduite, en accompagnement et/ou en conclusion des activités d’apprentissage. Au critère d’efficacité, on pourrait substituer celui de pertinence :
- pertinence sur le plan de la démocratisation, l’explicitation des procédures intellectuelles en permettant l’échange et l’appropriation par tous ;
- pertinence sur le plan de la formation intellectuelle, dès lors qu’on sollicite le recul réflexif et l’échange critique, qui contribuent à la compréhension partagée, à la durabilité et à la transférabilité des acquisitions".
Par ailleurs, j'ai pas encore plus lire le dernier n° des cahiers pédagogiques pour voir ce qu'ils disaient sur le fait d'enseigner plus explicitement.
PS: En fait, je m'aperçois que d'autres auteurs utilisent aussi inégalités socio-scolaires (sans doute pour les mêmes raisons que moi), voir par exemple cette video de Rayou (ESCOL): Pratiques pédagogiques et inégalités socio-scolaires (qui apporte peut-être des éléments à notre discussion):
Synthèse de certaines critiques faites aux pédagogies actives relativement aux questions de classe sociales pour avancer dans la réflexion:
Sachant que la question est: Quel gardes fous pour faire en sorte que les pédagogies actives ne soient pas au détriment des enfants de milieux populaires ?
Pour ESCOL (équipe de sociologues des inégalités sociales à Paris 8), il ne s'agit pas de revenir aux pédagogies traditionnelles. C'est impossible dans la mesure où ce qui est demandé aujourd'hui dans les programmes ne correspond plus à ce qui était demandé auparavant: moins de par coeur et plus de conceptualisation.
- Critiques en sociologie des inégalités sociales:
- Basile Bernstein (sociolinguiste): montre que les pédagogies invisibles sont plus en adéquation avec les valeurs des classes moyennes. Les pédagogies visibles sont plus explicites et de ce fait mettent moins en difficulté les élèves de milieux populaires (Bernstein Basil (2007). Pédagogie, contrôle symbolique et identité. Théorie, recherche, critique. Laval : Presses universitaires de Laval.)
- Viviane Isambert-Jammati (sociologue): étudie des enseignants qui pratiques différentes pédagogies. Elle montre que les élèves de classe moyenne supérieur sont plus avantagés que ceux de classes populaires par les "pédagogies libertaires" qui supposent d'avoir de plus grandes compétences d'autonomie - (Isambert-Jamati Viviane, Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d'enseignement et de leurs réformes
- Stéphane Bonnery (sociologie des inégalités): montre que la mise en activité de l'élève et l'habillage de la tâche peut conduire à des malentendus socio-cognitifs. L'élève est motivé, mais pas mobilisé intellectuellement (Comprendre l'échec scolaire, La Dispute, 2007)
- Rochex et Crinion (sociologie des inégalités sociales): montrent que les enseignants pratiques des différentiations passives ("indifférence aux différence" de Bourdieu) et différentiation actives ( niveau plus faible pour les élèves de milieux populaires, et plus élevé pour les élèves de milieux favorisés)- Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon (dir.) (2011).La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 212 p.
- Deauvieau Jérome: montre que le cours dialogué peut être plus favorables aux élèves en difficultés venant de milieux populaires (http://formation.apses.org/index.php?option=com_content&view=article&id=72:cours-dialogue-ou-activisme-langagier&catid=30&Itemid=126 )
Je ne rentre pas ici dans le détail des sources pour les travaux en psychologie cognitif, mais voici les critiques:
- les tâches complexes, type situation problème, mettent les élèves les plus en difficultés en situation de surcharge cognitive
- il est plus facile de maitriser un contenu qui est structuré et progressif: du simple au complexe, organisé... donc les approches plus inductives sont plus difficiles pour les élèves en difficultés
- les pédagogies de la découverte exposent à davantage d'échec car elles sont plus couteuses cognitivement. Mais l'objectif est bien de mettre l'élève en activité. Le débat porte sur la manière de mettre l'élève en activité (voir mon précédent post sur le livre de Dehaene)
Compte tenu de tout cela, voici quelques critiques qui pourraient s'appliquer à la "pédagogie critique" de Paulo Freire:
- Partir de l'expérience veçu des élèves: peut conduire à des malentendus socio-cogntifs: les élèves risquent de se trouver dans un rapport pratico-oral aux objets alors que l'école a pour objectif de faire rentrer dans une culture scripturale qui suppose une attitude de secondarisation. Dans la vie de tous les jours on parle, à l'école on apprend à réfléchir sur le langage.
- Les pratiques dialogiques: peuvent être plus favorables aux élèves de classes moyennes habitués par leurs familles à l'argumentation et aux règles du débat. Les élèves de milieux populaires peuvent être en situation de malentendus par rapport à ce qui leur ait demandé dans les débats à l'école qui en fait n'ont pas les mêmes régles que les discussions de la vie de tous les jours avec leurs copains.. C'est un peu le même problème qu'entre les filles et les garçons, sans régulation les rapports sociaux se reproduisent
- Le travail en groupe: risque de division sexuée et social des tâches. Les meilleurs élèves venant de milieux plus favorisés prennent en charge les tâches cognitivement les plus complexes. C'est aussi un peu le même problème qu'entre les filles et les garçons, sans régulation les rapports sociaux se reproduisent
- L'habillage de la tâche: Faire des activités comme les math ou d'autres disciplines, en abordant des questions socio-politiques risque de rendre l'activité l'objet mathématique encore plus opaques aux élèves en difficultés.
Problèmes:
- Risque de réserver les pédagogies demandant le plus d'autonomie intellectuelle aux élèves des milieux sociaux les plus favorisés, car ils ne sont pas mis en difficultés par ces pédagogies et qu'elles peuvent correspondre aux types de compétences recherchées pour les cadres supérieurs
- A contrario: Risque de rendre encore plus invisible aux élèves de milieux populaires les codes de l'école par des pédagogies qui demandent plus d'autonomie
- Différence de la position entre la pédagogie explicite canadienne (magistro-centré) et les sociologue d'ESCOL:
La conception canadienne suppose que l'enseignant doit expliciter. ESCOL admet la nécessité de l'explicitation de la part de l'enseignant (quoi, comment, pourquoi). Mais considère que c'est insuffisant car l'objectif c'est que l'élève soit mobilisé intellectuellement. Il s'agit donc également de faire expliciter aux élèves. Car l'enseignant peut explicité, mais on est pas assuré de la réception par les élèves.
(A noter néanmoins que l'enseignement explicite canadien n'utilise pas que le modelage (l'enseignant explicite), mais l'enseignement réciproque (les élèves s'enseignent mutuellement).
Conclusion: voici donc quelques éléments pour nourrir la réflexion.
Mais j'ai quand même l'impression, que comme avec la question du néolibéralisme, on a tendance à éluder tout ce qui fait problème quand cela ne va pas dans notre sens, plutôt que d'en faire une occasion pour se remettre en question sur nos positions de principe et d'avancer pour progresser. Car toutes ces critiques, elles ne datent pas d'aujourd'hui, mais elles ont émergées depuis les années 1990.
Donc l'objectif, c'est aussi à mon avis de réflechir pour faire attention à ce que l'on va proposer en pédagogie critique soit égalitaire dans les pratiques. La question est donc de savoir quel type de vigilance on doit avoir pour éviter ce type de problèmes ?
Salut tout le monde,
bon, déjà je vais répondre à ce message.
En ce qui concerne l'opposition implicite / explicite et le fait qu'il y ait beaucoup d'implicite dans les péda traditionnelles ou nouvelles.
Je suis totalement d'accord avec ça, et c'est quelque chose qui m'effraie, même, tellement c'est vrai et pas pris en compte dans les établissement. Oui, les profs, l'école en règle générale, ne se rendent pas compte de tous les implicites véhiculés par les discours tenus, par les appréciations sur les copies, dans les bulletins, dans les consignes, par les postures que nous adoptons et que nous attendons des élèves. Oui, mille fois oui, il y a un sacré travail à la fois d'explicitation et de déconstruction à opérer.
Explicitation, mais du point de vue de l'Escol : rendre claires les attentes, les savoirs mis en jeu, les savoirs à construire, les démarches... car ce qui est intuitif pour les élèves qui ont intégré les schémas et postures scolaires (= globalement les plus favorisés) l'est beaucoup moins pour les élèves en difficulté ou défavorisés (perso, j'ai connu les démarches explicites en passant la certification handicap et c'est très éclairant pour ces élèves).
Si on n'est pas clair dans tout ça, on perd les élèves. Et le pire, c'est que parfois, on est capable de se plaindre qu'ils et elles n'aient pas acquis des attitudes ou des méthodes que nous n'avons jamais pris le temps d'expliciter. Donc expliciter, de cette manière, oui.
C'est d'ailleurs un des principes qui était à l'oeuvre dans une certaine conception du travail par compétences : expliciter les différents paliers pour valider une compétence (voir les échelles descriptives de compétences. Un bon ex ici pour le latin, descendre jusqu'au milieu de la page https://www.pedagogie.ac-nantes.fr/lettres/enseignement/evaluer-par-competences-en-lca-avec-des-echelles-descriptives-1019056.kjsp?RH=PEDA)
Par contre, l'explicite « dur », celui prôné par Appy et compagnie en France, appuyée sur les canadiens comporte des postures qui me posent problème car pas de préoccupation sociale, une mise en avant de l'efficacité dans l'objectif d'un taux plus fort de diplômés et donc d'une meilleure insertion dans la société (c'est écrit sur le site de formapex, qui paraît être the référence française). On est dans l'imitation-répétition (qui a d'ailleurs ses limites dans les travaux de réflexion qu'on demande aussi à l'école). Rien sur la conscience critique, sur l'émancipation. Et je voulais caricaturer, je dirai même soumission aux diktats sociaux et patronnaux sans les remettre en question.
Et même, je lis parfois sous la plume de collègues défendant l'enseignement explicite qu'à partir du moment où on enseigne comme ça, plus de problème, ça marche. Évacuation, donc, de toute revendication de changements sociaux, du rôle des facteurs environnementaux, familiaux... dans les apprentissages.
Mais bon, on ne va pas prendre la parole d'une poignée comme représentative de l'ensemble.
Déconstruction parce que, pour les profs, nous sommes enfermé·es dans des mots, dans des expressions, tout un langage dont nous avons perdu non seulement le sens, mais aussi la maîtrise. Un langage que nous avons automatisé, parfois même avant d'être profs, que nous utilisons comme s'il était transparent pour tout le monde et que nous ne questionnons jamais, pour lequel nous ne nous demandons pas non seulement ce qu'il signifie pour nous, fondamentalement, mais ce qu'il signifie aussi pour les élèves et la manière dont les élèves reçoivent ces mots « de profs ».
Exemples : participer / apprendre les leçons / faire les devoirs / être attentif·ive / ...
Il y aurait un travail très intéressant à mener des deux côtés : prendre une expression et interroger plusieurs profs de niveaux et de milieux différents / prendre la même expression et interroger plusieurs élèves de niveaux et de milieux différents.
Je pense qu'on hallucinerait des écarts de « définition ».
Autre exemple: partir d'une consigne toute bête et voir ce qui, en réalité, est en jeu, doit être mobilisé pour que l'élève arrive à faire l'exercice et qui n'est qu'implicite.
Bref, je m'éloigne du sujet.
Juste pour dire aussi qu'être explicite dans ses pratiques ne me semble incompatible avec aucune autre pédagogie. Faut juste que chacun·e soit au clair avec les principes, l'éthique, qu'il ou elle place derrière.
Oui, entièrement d'accord avec ce que tu écris Jacqueline:
Je me permets de reformuler pour bien montrer nos points d'accord sur ce plan:
a) Enseigner plus explicitement au sens d'ESCOL (sociologique): je trouve cela positif pour deux raisons:
- tenir compte des inégalités sociales (Les écarts de définition dont tu parles, il me semble que c'est ce qu'ESCOL appelle les malentendus socio-cognitifs)
- car leur approche n'est pas prescriptive: ils disent à quoi il faut faire attention, mais ensuite le prof garde son entière liberté pédagogique pour trouver lui-même les solutions aux problèmes identifiés dans la pratique.
(Juste deux points concernant la pédagogie explicite canadienne:
- la différence entre le "modelage" et l'imitation: le modelage est basé sur l'apprentissage social. Il s'agit en regardant une personne faire (qui peut être un pair d'ailleurs) de dégager les principes d'un savoir-faire en regardant l'autre faire et expliciter ce qu'il fait. Cela ne me parait pas problématique d'y avoir recours. Le problème c'est de se limiter à cela sans prendre en compte la finalité critique de l'enseignement
- sinon une autre précision: la pédagogie explicite c'est en fait des travaux qui compilent ce que les enseignants qui sont les plus efficaces ("effet enseignant") font. A mon avis, c'est "efficace" parce que c'est des techniques que tous les prof qui ont de l'expérience utilisent plus ou moins (je pense par exemple pour la gestion de classe), mais le problème de Gauthier/Bissonnette, c'est qu'ils prennent toutes ces techniques éparses et ils les transforment une méthode complètement rigide et standardisée qui ne laisse plus aucune liberté pédagogique ).
b) Pédagogie explicite (Appy, Gauthier, Bissonnette...)
- réduise la pédagogie à un ensemble de techniques efficaces (confusion didactique et pédagogie)
- en plus, leur approche me semble surtout efficace au vu des travaux que j'ai lu pour automatiser des règles d'orthographe ou calculatoire. Cela semble surtout approprié pour tout ce qui repose sur de la mémoire procédurale ("savoir faire"). Mais cela me semble pas en accord avec ce qui demande de la mémoire sémantique (ou mémoire encyclopédique) (voir les travaux d'Alain Lieury qui montre que la mémoire sémantique est la plus corrélée à la réussite scolaire: histoire-geo, sciences, SES, Philo, littérature.... c'est surtout de la mémoire sémantique. (Mais bon, là c'est plus un avis, je ne suis pas spécialiste de ces questions...)
- se prétendent non idéologique, mais en fait avalisent totalement les finalités du marché: l'employabilité....
- un refus explicite de la finalité critique de l'enseignement. Voir: http://www.formapex.com/daniel-willingham/778-la-pensee-critique-pourquoi-est-elle-si-difficile-a-enseigner-
En fait, comme ils sont incapables de penser que l'enseignement critique soit autre chose que des techniques de type "critical thinking" (pensée critique), ils réduisent l'esprit critique à des techniques efficaces transversales qui pourraient être évaluées efficacement.
Mais l'esprit critique, au sens de Paulo Freire, c'est autre chose, c'est la conscience critique (critical consciousness). Celle-ci relevant d'une dimension ethico-politique, elle ne relève pas d'une mesure d'efficacité techno-scientifique.
Pour finir, si on admet qu'il y a un consensus possible entre nous sur le fait qu'il faut pour lutter contre les inégalités sociales "enseigner plus explicitement" (ce qui ne veut pas dire on est d'accord faire de la "pédagogie explicite" au sens de méthode rigide standardisée), il reste néanmoins un point à éclaircir entre nous, c'est la place des techniques dans l'émancipation:
Les techniques (efficaces) font-elles partie en soi de la définition d'une pédagogie émancipatrice ou relèvent-elles plutôt d'une didactique des apprentissages ? Ce qui conduit à devoir répondre au fait de savoir si: a) Une technique est-elle en elle-même émancipatrice ? (ex: techniques coopératives indépendement de la finalité néolibérale ou d'émancipation sociale ?) b) si la pédagogie, en tant que pratique émancipatrice, inclut un agir technique ou si elle est un agir ethique dont le rôle est de normer la didactique (l'agir technique) ?
A bientôt,
Irène
Salut,
J'ai été cette semaine à un stage syndicalisme et pédagogie à Marseille consacré à la lutte contre les discriminations à l'école. Et le stage a débouché sur le constat suivant: a) il n'y avait aucun atelier sur les classes sociales (il y a eu des ateliers sur: l'adultisme, le sexisme, le racisme) b) total, ils ont décidé d'organiser leur prochain stage là-dessus.
J'avoue que cela m'a surprise à deux titres: a) avant c'était une question qui émergeait jamais des stages de pédagogie b) ce qui m'a surpris aussi c'est que c'est venu de plein de personnes différentes au moment du bilan en pleinière.
Ils cherchent des intervenants sur le sujet. Peut-être que Robin comme tu as déjà commencé un travail là-dessus, je peux te mettre en contact avec eux.
à bientôt
irene