Bonjour,
Je vais continuer sous une autre forme la discussion déjà engagée sur les techniques, en essayant d'être plus concrète dans la manière dont j'avance les choses.
Avant cela, je vais rappeler quelques points de clarification:
1) je crois pas qu'il y ait de guerre des pédagogies dans la mesure où les pédagogies radicales/critiques ne se situent pas au niveau des techniques comme c'est le cas dans la pédagogie Freinet, mais de l'action.
2) Je pense que la bataille sur les techniques nous met en difficulté pour penser une pédagogie émancipatrice pour deux raisons:
a) Les techniques ne permettent pas de distinguer à elles seules les pédagogies émancipatrices et des pédagogies néolibérales. Elles se distinguent par leurs finalités (voir le ppt de Meirieu que j'ai déjà signalé et qui est d'accord avec moi sur ce point)
b) Les techniques ont pour but l'efficacité. Or aujourd'hui les pédagogies technoscientifiques prétendent être plus efficaces que les techniques pédagogiques artisanales par exemple pour lutter contre les inégalités sociales. Personnellement, je n'ai pas les moyens scientifiques de lutter contre ces courants pour prouver le contraire.
C'est pourquoi, je pense que si l'on veut défendre des pédagogies émancipatrices contre ces approches, il ne faut pas se situer au niveau des techniques, mais au niveau des enjeux ethico-politiques de la pédagogie.
3) Les pédagogies radicales/critiques se posent deux questions:
a) Quelles sont les finalités qui distinguent une pédagogie d'émancipation sociale d'une pédagogie aliénante ?
b) Quels moyens pédagogiques sont en cohérence avec les finalités d'émancipation sociale?
La réponse de Paulo Freire: Les finalités des pédagogies d'émancipation sont la lutte contre la déshumanisation. Le capitalisme, le colonialisme, le patriarcat conduisent à la déshumanisation de l'être humain. Les moyens pédagogiques mis en oeuvre avec des finalités d'émancipation ne peuvent pas conduire à la déshumanisation, cad à la réification de l'apprenant.
En outre, ce que dit Paulo Freire c'est qu'une fois déteminé ces dimensions éthique, l'enseignant avec rechercher dans les recherches scientifiques actuelles ce qui va lui permettre de parvenir aux finalités visées.
Là c'est le point avec lequel j'ai le plus de mal, c'est pourquoi il faudrait que ce soit les techniques Freinet plutôt qu'autre chose. Pour moi ce qui est important, c'est la compatibilité de l'action pédagogique avec les deux questions posées ci-dessus.
4) Pour cela, la pédagogie radicale ou critique doit emprunter les voies d'une socio-ethique. Cette démarche présente de très grandes similarités avec celle présenté dans le livre de la Cgé: Enseigner pour émanciper, émanciper pour apprendre (http://www.cahiers-pedagogiques.com/Enseigner-pour-emanciper-emanciper-pour-apprendre-Une-autre-conception-du-groupe-classe)
Je vais aller directement au plus concret et ne pas présenter ici les bases théoriques qui mélangent (droit, sociologie et philosophie) pour présenter directement des exemples de situations professionnelles (https://iresmo.jimdo.com/2018/12/15/socio-ethique-professionnelle-des-enseignants/)
J'ai eu l'occasion de présenter un atelier de ce type lors d'un stage de Sud éducation à Grenobles): il s'appuie sur des situation-problème professionnel auxquels ont à faire face courament les enseignants, en particulier dans le premier degré.
Exemple: La différentiation pédagogique et les classes sociales
Cas pratique : L’enseignant-e a dans sa classe des élèves qui ont un niveau différent et également des différences de rythme. Certains finissent beaucoup plus vite que les autres. L’enseignant-e souhaite aider les élèves en difficulté, mais elle ne veut pas non plus délaisser les meilleurs élèves qui doivent progresser. C’est pourquoi l’enseignant-e met en place une différentiation pédagogique qui doit faire progresser tous les élèves.
Problème : Faut-il chercher à différentier en faisant davantage progresser les élèves en difficulté en leur accordant plus de temps ou différentier en visant une progression de tous les élèves ?
Analyse sociologique : Les étudiant-e-s ont tendance à penser que la différentiation pédagogique est en soi la solution pédagogique à la lutte contre les inégalités scolaires et sociales. Pourtant, la différentiation pédagogique n’est pas en soi une garantie réduction des inégalités scolaires et sociales. C’est ce que montre la notion de « différentiation active » (Rochex).
La différentiation active peut avoir lieu entre les écoles du centre et les écoles de la périphérie. Les enseignants ont des attentes moins élevés en éducation prioritaire que dans les écoles de centre ville (Van Zanten, Agnès. L'école de la périphérie: scolarité et ségrégation en banlieue. Presses universitaires de France, 2012. )
La différentiation active peut également amplifier des inégalités scolaires au sein d’une même classe (Laparra, Marceline, and Claire Margolinas. "Quand les maîtres contribuent à leur insu à renforcer les difficultés des élèves." (2011): 111-130. )
Dans le cas des élèves en situation de handicap, les enseignants ont tendance à penser qu’ils sont à l’école avant tout pour se socialiser plutôt que pour apprendre (CNESCO, Rapport sur la situation de handicap - http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2015/12/rapport_handicap.pdf )
Réflexion socio-ethique : Cette situation fait surgir un dilemme professionnel concernant le principe d’équité entendu comme égalité géométrique, au sens d’Aristote, c’est-à-dire comme une proportionnalité.
- S’agit-il d’accorder à chaque élève selon son niveau la même attention et de leur proposer des exercices qui les fassent progresser de manière égale ? Mais dans ce cas, il n’y a pas de réduction des inégalités sociales par l’école. L’école maintient les inégalités sociales, sans les amplifier, mais elle reproduit les élites sociales.
- Ou s’agit-il d’accorder plus de temps aux élèves en difficultés, et donc moins d’attention aux élèves qui ont moins de difficultés ? Il s’agit du principe de différence (Rawls). Des inégalités sont justes si elles améliorent le sort de ceux qui sont dans la situation sociale la plus désavantagée.
- Ainsi F. Galichet distingue parmi les enseignants entre autres: « - ceux qui dispensent un enseignement efficace mais inéquitable ( ils améliorent le niveau de tous, mais de certains beaucoup plus que d’autres) (...) - ceux enfin qui dispensent un enseignement efficace et équitable ( ils font monter nettement le niveau de tout le monde , et en outre restreignent les écarts) ».
Pistes d'action pédagogiques : L’éthique ne permet pas de répondre de manière claire à cette question qui relève en partie de la liberté pédagogique de l’enseignant. La socio-ethique apporte une réponse plus claire à cette question dans la mesure où pour la socio-ethique la lutte contre les inégalités sociales constitue un principe fondamental de l’éthique enseignante (art. L 111-1 code de l'éducation). De ce fait, la socio-ethique de l’enseignant applique le principe de différence qui consiste à considérer qu’une différentiation pédagogique est juste seulement si elle améliore le sort des élèves les plus en difficultés. Par exemple:
- laisser en autonomie les élèves ayant un meilleur niveau scolaire, pour accorder plus de temps aux élèves ayant des difficultés scolaires.
- Maintenir les mêmes objectifs pour tous les élèves, mais différentier l'étayage pour les élèves en difficulté (étayer, puis désétayer). Les travaux en sociologie des inégalités sociales montrent que les différentiations de contenus creusent les inégalités socio-scolaires
- Mettre en oeuvre des groupes de besoin et non des groupes de niveau
Conclusion: Par rapport à ce qu'à présenter Jacquelines concernant le plan de travail, l'approche socio-ethique en pédagogie radicale ne va pas dire si le plan de travail est une mauvaise pratique, mais si sa mise en place est conforme au principe suivant: "une différentiation est juste si elle améliore le sort de ceux qui sont les moins avantagés".
Ce qui m'a un peu posé problème, c'est quand par exemple Jacquelines m'a dit que c'était pas sur cette question qu'elle avait réfléchi en priorité en mettant en place le plan de travail alors qu'elle est centrale pour la pédagogie radicale.
(Plusieurs autres cas pratiques sont présentés sur cette page en 5e partie:
https://iresmo.jimdo.com/2018/12/15/socio-ethique-professionnelle-des-enseignants/)
L'agir socio-éthique:
I- Questions abordées dans l'agir socio-éthique (différence avec l'agir technique):
L’agir éthique constitue la dimension de la pédagogie qui est plus spécifiquement consacrée à la question de l’action pédagogique. Le texte ci-dessous propose une liste d’exemple de question qui relèvent de l’agir éthique en pédagogie (P.4)
1. Différence entre agir éthique et agir technique
La pédagogie met en œuvre des finalités axiologiques. Mais il faut effectivement des moyens concrets pour réaliser ces finalités pédagogiques.
L’agir technique ou didactique se pose la question des moyens les plus efficaces pour atteindre cette finalité. Sur ce plan, tous les moyens peuvent-être bons, y compris les « ruses éducatives », pour atteindre cette finalité.
L’agir éthique vient normer l’agir technique pour éviter de transformer l’éducation en une simple instrumentalisation d’autrui, y compris pour « son bien ». Pour l’agir éthique, tous les moyens ne sont pas nécessairement bons pour réaliser une finalité fusse-t-elle désirable en elle-même (comme l’émancipation sociale).
2. Différence entre agir éthique et agir socio-éthique
L’agir éthique en éducation est développé par différents travaux. Au Canada, on peut par exemple citer l’ouvrage dirigé par : Anne-Lise Saint-Vincent, Le développement de l’agir éthique chez les professionnels en éducation (PUQ, 2015).
En France, à travers l’éthique relationnelle, Christophe Marsollier, développe également un agir éthique basé sur la bienveillance (https://www.youtube.com/watch?v=_R-nALPud-s). En effet, il ne suffit pas de vouloir être bienveillant (C’est pour ton bien d’Alice Miller illustre ce que peut être une forme paradoxale de « bienveillance »). Il faut aussi agir de manière bienveillante. C’est le rôle de l’agir éthique.
Mais, la « bienveillance » en soi ne suffit pas pour viser l’émancipation sociale. En effet, comme le rappelle Christophe Marsollier, la bienveillance est également une vertu qui est recherchée par le management néolibéral.
C’est pourquoi un agir éthique d’émancipation sociale, ne peut pas être un agir éthique reposant sur la psychologie individualiste, mais sur une philosophie sociale. Il s’agit donc d’une socio-éthique.
L’agir socio-éthique en éducation, pour Paulo Freire, est un agir qui poursuit les finalités d’émancipation sociale. Celle-ci consiste à faire en sorte que chaque être humain puisse vivre une vie digne. Pour cela, l’agir éthique en éducation doit être en adéquation avec ces finalités. C’est pourquoi, il défend une éducation dialogique et problématisante. Mais il s’oppose à des pratiques qui réifient l’être humain : pédagogie bancaire, manipulation, invasion culturelle….
C’est ce que développe Paulo Freire dans Pédagogie de l’autonomie. Il est possible de reprendre le triangle des modèles pédagogiques de Philippe Meirieu pour comprendre en quoi il s’agit d’une pédagogie complète et non pas seulement d’une philosophie de l’éducation :
- La finalité axiologique est la lutte contre les discriminations et les inégalités sociales, ou dit autrement : l’émancipation sociale. De manière générale, l’enjeu est l’humanisation sociale et la lutte contre la déshumanisation sociale.
- Les connaissances mobilisées dans la pédagogie critique sont les sciences sociales critiques (Théorie critique, Intersectionnalité, sociologie des rapports sociaux…).
- Enfin, le pôle praxéologique en est constitué par l’agir éthique ou plus particulièrement dans ce cas, l’agir socio-éthique.
3. Mieux comprendre l’agir éthique, et la différence entre l’agir éthique et l’agir socio-éthique
a- L’agir éthique prend en compte des questions qui sont souvent évacuées par les conceptions techniciennes de la pédagogie et qui débordent la salle de classe :
Par exemple : La pédagogie doit-elle se restreindre à la salle de classe ou la lutte pour de meilleures conditions de travail est-elle une dimension de la pédagogie ?
Dans la pédagogie socio-éthique de Paulo Freire, la réponse est très claire :
"La lutte des professeurs pour la défense de leurs droits et de leur dignité doit être entendue comme un moment important de leur pratique d'enseignant, en tant que pratique éthique" (Pédagogie de l'autonomie)
b- L’agir éthique lutte contre la transformation de tous problèmes humains en problèmes techniques.
La relation éducative ne relève pas que de problèmes techniques, mais également relatifs à des questions de relations entre des personnes humaines. Dans l’éducation, il ne s’agit pas d’une relation entre un être humain et des objets, mais d’une relation entre des sujets humains. L’agir éthique vise à maintenir ce qu’il y a de spécifiquement humain dans la relation éducative.
Il ne s’agit pas par exemple de se demander « comment avoir des techniques de gestion de classes efficaces ? », mais « comment puis-je construire une relation humaine mutuellement respectueuse au sein de la classe ? ».
La domination de la raison instrumentale consiste à transformer la relation éducative en une question purement technique : des robots-enseignants utiliseraient des méthodes techno-scientifiques pour faire apprendre à des élèves qui ne sont considérés que comme des cerveaux-machines.
L’agir éthique refuse le réductionnisme d’une éducation humaniste à une instruction mécanique.
c- L’agir socio-éthique se distingue de l’agir éthique dans la mesure où il reformule tous les problèmes d’agir éthique sous l’angle des rapports sociaux de pouvoir.
Par exemple, non pas comment construire de la co-éducation avec les familles, mais comment l’école peut établir des relations respectueuses avec les familles de milieux populaires ou en situation de grande pauvreté ?
4. Exemples de question relatives à l’agir éthique et socio-éthique :
Les questions peuvent être formulées simplement sous l’angle d’un agir éthique. Mais ci-dessous nous allons faire le choix de plutôt les reformuler directement sous une forme socio-éthique. Ce qui demande déjà au préalable d’avoir pris l’habitude de formuler les questions pédagogiques non pas sous formes d’agir technique, mais sous formes d’agir éthique.
- Exemples de questions relatives à la communauté éducative :
Comment établir des relations respectueuses avec les familles des élèves socialement minorés (exemple : milieux populaires, grande pauvreté, homoparentale, racisés…) ?
Comment réagir face à une situation d’abus de pouvoir d’un supérieur hiérarchique ?
Comment réagir si j’apprends qu’un ou une collègue me confie qu’il ou elle est victime de harcèlement discriminatoire au travail ?
- Exemple de questions en relation avec la pratique didactique :
Comment puis-je agir contre les stéréotypes et les discriminations afin de faire de la salle de classe un espace scolaire plus inclusif ?
Quelle vigilance dois-je avoir pour ne pas reproduire et amplifier les inégalités socio-scolaires ?
Quels règles éthiques dois-je suivre pour organiser une différentiation pédagogique équitable visant à diminuer les inégalités socio-scolaires entre les élèves ?
Quels principes d’action prendre en compte pour favoriser le développement de la conscience sociale critique des élèves dans les différentes disciplines scolaires ?
- Exemples de questions concernant la relation entre élèves et enseignants :
Comment puis-je intervenir pour soutenir un élève socialement discriminé qui est victime d’exclusion ou de discriminations par ses camarades à l’école ?
Comment puis-je mettre en œuvre un climat plus démocratique dans la salle de classe tout en étant attentive à ne pas amplifier d’autres rapports sociaux ( de sexe, de classe sociale…) ?
Comment puis-je aider à développer entre les élèves des relations humaines non-discriminatoires ?
Comment puis-je développer chez les élèves des valeurs de coopération et d’affirmation de soi, de sensibilité à l’injustice sociale et d’engagement contre l’injustice sociale ?
Conclusion :
Le rôle de l’agir éthique n’est pas de répondre techniquement à ces questions (par exemple en proposant des outils), cela c’est le rôle de la didactique critique. Le rôle de l’agir éthique, c’est de proposer des pistes d’action qui veillent à l’adéquation des fins et des moyens dans l’agir éducatif. Cela afin que les techniques didactiques qui sont utilisées soient en accord non seulement avec les finalités éthiques, mais également avec une action éthique. Selon le principe suivant : une technique pédagogique n’est acceptable, pas seulement si elle permet d’atteindre une finalité humaniste, mais si elle respect l’humanité de l’humain. Dit autrement, une technique pédagogique est acceptable si elle :
- n’amplifie pas les inégalités socio-scolaires et si elle n’induit pas des discriminations
- si elle ne réduit pas l’être humain au rang d’objet, au lieu de le traiter comme un sujet
- si elle développe chez lui la conscience critique et plus encore la conscience sociale critique
- si elle vise à l’humanisation de l’être humain, c’est à dire qu’elle permet de développer une éducation en accord avec la recherche de sens de l’être humain et le fait qu’il s’agit d’un être de culture.
Plusieurs réponses à ces questions sont abordées dans:
- Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie, Eres, 2013.
- Le site Internet : Pédagogie anti-discrimination - http://pedagogie-antidiscrimination.fr/
II- Exemples de règles pour un agir socio-éthique
Voici ci-dessous quelques propositions de règles d’action socio-éthique. Il s’agit de propositions dans la mesure où les règles socio-éthiques peuvent faire l’objet de discussion et ne sont pas des dogmes absolus. Elles relèvent plutôt de la phronèsis, sensible au contexte, que de l’impératif catégorique.
1. L’enseignant-e doit commencer par se conscientiser sur la réalité des inégalités socio-scolaires
Il n’est pas possible de mettre en œuvre une pédagogie socio-éthique et une didactique critique si l’on n’a pas déjà soi-même commencé par conscientiser en quoi dans sa pratique, inconsciemment, on peut reproduire les inégalités socio-scolaires et les discriminations.
Cela suppose de se former en écoutant la parole des personnes vivant ces discriminations afin de se sensibiliser à ne pas les reproduire. Cela suppose de respecter le savoir social de ses élèves sur les discriminations que ceux-ci et celles-ci vivent.
Cela suppose donc d’avoir une connaissance de la littérature sociologique sur les inégalités sociales et les discriminations sur le sujet.
2. Une pédagogue critique socio-éthique évite de véhiculer des préjugés sociaux négatifs sur les élèves, les familles des élèves ou des membres de la communauté éducative.
Bien souvent trop d’enseignants véhiculent des préjugés sociaux négatifs sur les familles ou les élèves : sexisme, préjugés éthno-raciaux, classisme, pauvrophobie…
Cela peut être en ce qui concerne :
- des remarques orales ou écrites véhiculant des stéréotypes négatifs
- des préjugés sociaux lors de l’orientation des élèves
- des préjugés sociaux orientant les sanctions prises à l’encontre des élèves.
3. Une pédagogue socio-éthique doit autant qu’il peut favoriser la démocratie sans verser pour autant dans le laxisme et se laisser reproduire d’autres rapports sociaux de pouvoir dans sa salle de classe.
La mise en œuvre d’un climat de classe démocratique peut passer par différents éléments comme le fait de favoriser la prise de décision chez les élèves, ou encore de favoriser la discussion.
Néanmoins, l’enseignante doit être également attentive que ces pratiques démocratiques ne reproduisent pas d’autres rapports du pouvoir comme des rapports de pouvoir classistes ou sexistes.
4. L’agir socio-éthique vise à éviter de renforcer le « délit d’initié » (Bourdieu) dont bénéficient les élèves de milieux favorisés.
Par sa manière d’enseigner explicitement et son action en général, l’enseignant-e vise rétablir de l’égalité sociale entre les élèves de milieux défavorisés et les élèves favorisés.
Cela concerne de nombreux domaines :
- être attentif à ne pas considérer comme évidents un certain nombre d’attentes en termes comportementaux qui sont en réalité situés socialement.
- être attentif à ne pas considérer comme évident et à laisser dans l’implicite certaines attentes cognitives, à ne pas enseigner certaines stratégies cognitives qui sont maîtrisées par certains élèves en fonction de leur milieux sociaux
- à faire en sorte que les attendus des évaluations scolaires soient explicites pour tous les élèves quelques soit leur origine sociale.
- à ne pas demander de réaliser à la maison des devoirs qui ne peuvent pas être réalisés sans l’aide des parents ou par un élève en situation de précarité socio-économique.
5. Une différentiation pédagogique n’est juste que si elle améliore le sort des plus défavorisés sur le plan socio-scolaire
Comme le souligne Paulo Freire, la socio-éthique adopte le point de vue des exclus, des opprimés. Or une différentiation pédagogique n’est pas toujours en faveur de ceux qui sont en situation d’inégalités socio-scolaires. C’est pourquoi une règle socio-éthique peut consister à adopter le principe de différence de Rawls.
6. Un pédagogue critique socio-éthique est attentif à ce que le matériel scolaire et les supports scolaires ne véhiculent pas stéréotypes sociaux, que les espaces scolaires soient inclusifs pour toutes et pour tous
Ce matériel scolaire, cela peut être des jouets, des affichages, des albums jeunesses ou encore par exemple des manuels scolaires.
Elle/il veille à ce que les espaces scolaires soient safes et inclusifs.
Elle/il adopte un langage inclusif.
7. Une pédagogue critique socio-éthique adopte une posture d’allié-e des opprimées
Il/elle agit avec elles/eux et cherche à augmenter leur pouvoir d’agir et n’agit pas sur eux/elle (pouvoir instrumental).
Elle/il intervient pour soutenir un élève qui est victime de (micro-)discriminations à l’école que ce soit de la part d’autres élèves ou d’autres membres de la communauté éducative.
7. Une pédagogue critique socio-éthique vise l’émancipation sociale par le développement de la conscience sociale
Elle ne se contente pas de mettre en oeuvre des pratiques qui peut être favorisent l'émancipation individuelle, et qui peuvent ne pas se différentier de la pédagogie entrepreneuriale par ses méthodes, mais n'ont pas de portée directe en termes d'émancipation sociale.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à lire et à écrire, mais d’apprendre à lire et à écrire de manière critique.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à faire des mathématiques et des sciences, mais à mettre en lumière les enjeux sociaux des mathématiques et des sciences.
Il/elle aborde dans ses contenus de cours les thématiques ayant trait aux discriminations et aux inégalités sociales.
8. Une pédagogue critique socio-éthique essaie de développer les capacités d’engagement pour la justice sociale des élèves
Cela peut passer par des projets visant à réaliser des actions en faveur de la lutte contre les discriminations et la justice sociale.
9. Une pédagogue socio-éthique considère que la lutte pour de meilleures conditions de travail et contre les discriminations dans l’organisation du travail scolaire fait partie de la socio-éthique, et donc de la pédagogie.
La pédagogie socio-éthique ne s’arrête pas à la classe sociale, elle vise la transformation de l’institution scolaire et au-delà de la société par les luttes sociales et en particulier syndicales.
10. Une pédagogue socio-éthique ne transforme pas les techniques didactiques en dogmes pédagogiques, mais sait qu’ils ne sont que des moyens qui doivent toujours être subordonnées aux finalités socio-éthique et en conformité avec l'agir éthique.
Pour cela, il/elle est toujours prêt à remettre en question ses pratiques d’enseignement si les observations ethnographiques de sa pratique enseignante montrent qu’elle reproduit des inégalités socio-scolaires de classes sociale, de genre ou encore ethno-raciale.
III- Fiche pour aborder les situations-problèmes d'enseignement sous l'angle de l'agir socio-éthique:
Pour développer, une pédagogie critique socio-éthique, il faudrait sans doute mettre en œuvre des groupes de discussions entre enseignants qui discuteraient de situations professionnelles qu’ils essaieraient de reformuler non pas sous forme technique, mais sous forme socio-éthique. Une fois cette reformulation effectuée, ils essaieraient de donner une réponse en terme d’agir socio-éthique à ces situations-problèmes professionnels.
Annexe: Abordée une situation professionnelle éducative sous un angle socio-éthique
(Fiche utilisable pour un groupe de discussion à l'oral ou pour une personne individuelle à l'écrit)
Introduction:
1. Raconter la situation problème professionnel
2. Formuler le problème posé par cette situation sous une forme éthique et non pas technique.
Partie I- Pôle des connaissances.
Quelles connaissances sociologiques critiques peuvent être mobilisées pour analyser la situation
Partie II- Pôle des finalités axiologiques
1. Réflexion sur les finalités éthiques
2. Position socio-éthique
3. Déterminer les finalités socio-éthiques présentent dans les textes institutionnels en lien avec la situation.
Partie III- Pôle de l'agir éthique
Que serait un agir éthique dans ces circonstances: quelle action éthique en accord avec les finalités socio-éthiques ?
Conclusion: Didactique
Quels moyens techniques peuvent être utilisés en accord avec les connaissances scientifiques et l'agir éthique pour atteindre la finalité socio-éthique ?
Pour info, le lien de deux ateliers en socio-éthique que j'ai animé durant des stages et qui partent de situations professionnelles proposées par les participantes:
https://pedaradicale.hypotheses.org/2476
https://pedaradicale.hypotheses.org/2459