Bonjour,
Je vais revenir sur la discussion lancée par Greg mais sous un autre angle que techniques pédagogiques et récupération néolibérale.
Il me semble qu'il y a d'autres raisons qui peut faire que l'on peut avoir des doutes dans le fait d'associer à la pédagogie émancipatrice avec un ensemble de techniques déterminées:
1) Technique pédagogique et validation scientifique:
Les pédagogies émancipatrices ont eu tendance à chercher dans la science une validation. Par exemple, Freinet dans Essai de psychologie sensible s'est appuyé sur Claparede, le GFEN sur la psychologie d'Henri Wallon, Piaget et Vitgotski, la pédagogie institutionnelle sur la psychanalyse.
L'avantage c'est que la science semble offrir une caution de rigueur scientifique.
Mais le problème, c'est que les connaissances scientifiques sont soumises à un principe de changement. Or aujourd'hui les travaux scientifiques ne vont plus du côté du constructivisme ou de la méthode globale en lecture.
Or on peut se demander si l'enjeu de l'émancipation se trouve dans ces méthodes ou dans des finalités émancipatrices...
2) Pédagogie et ethico-politique:
Au contraire, Freire n'a jamais appuyé ses pratiques pédagogiques sur une validation scientifique, mais sur une vision philosophique. La philosophie est soumise à discussion et à débat, mais pas à un principe de peremption.
Les questions philosophiques concernant les pratiques: a) les pratiques permettent-elle d'atteindre la finalité ethico-politique ? b) les pratiques sont-elles en accord avec l'éthique de lutte contre la déshumanisation ?
3) Technique pédagogique et lutte contre les inégalités sociales:
Ensuite, il peut sembler logique de considérer qu'une pratique pédagogique n'a pas de valeur absolue en soi vue qu'elle n'est qu'un moyen.
Il faut donc vérifier si elle est en accord avec la finalité ethico-politique de lutte contre les inégalités sociales.
Par conséquent, il est possible de mener une enquête ethnographique pour le vérifier.
Par exemple dans les cercles de parole de Paulo Freire, ils ne garantissent pas en soi l'égalité de parole homme/femme sans régulation ou entre les classes sociales...
Il ne suffit pas qu'une technique pédagogique lutte contre un rapport social (par exemple d'autorité vertical entre l'enseignant et les élèves) pour qu'il soit émancipateur s'il ne lutte pas contre les autres rapports sociaux: classe sociale, de sexe...
Donc de mon point de vue, la mise en oeuvre et l'attachement à tel ou tel technique devrait être relatif à une enquête menée par les enseignants concernant les interactions filles/garçons, les inégalités sociales...
Irène
Bonjour,
Suite de mes impressions sur les discussions pédagogiques:
L'histoire de "guerre" et de "dénigrement", je pense appelle encore quelques précisions de ma part.
Mon objectif n'est pas de dénigrer, mais de faire avancer la réflexion sur des points où je trouvais que l'on était dans des impasses pour faire bouger les lignes. Je pense que l'un des rôles de la philosophie c'est justement la clarification conceptuelle: faire des distinctions qui éclairent le débat.
Je vais lister certains de ces points:
a) la difficulté à distinguer pédagogies émancipatrices et pédagogies néolibérales. Ce qui a aboutie pendant tout un moment à ne pas critiquer les récupéations néolibérales des pédagogies, mais seulement les anti-pédagos réac-publicains. Il me semble qu'en montrant que les pédagogies émancipatrices se distinguent des pédagogies néolibérales par leurs finalités (projet politique) plus que par leur méthodes, on clarifie le débat.
b) La tendance à accorder plus de valeurs aux techniques qu'aux finalités dans les débats pédagogiques. On va débattre à l'infini de "méthode syllabique" ou "globale", de "pédagogies de la découverte"... On a l'impression que les personnes s'identifient plus aux techniques qu'à leur finalité.
Ce qui me semble essentiel n'est pas de défendre telle ou telle "technique", mais bien de savoir si ces techniques nous permettent d'atteindre le but visé.
Par exemple, le plan de travail: ce qui m'intéresse c'est pas seulement s'il permet de gérer la diversité des élèves, mais s'il permet de réduire les inégalités socio-scolaires ?
Or à trop s'attacher aux techniques, j'ai l'impression qu'on perd les vrais buts. A mon avis, faut déjà être au clair sur les finalités et ensuite chercher les techniques qui permettent d'atteindre ces finalités. Les techniques ne sont que des moyens.
c) Il faut à mon avis faire bouger les lignes sur la définition de la pédagogie aujourd'hui.
Je vais prendre un exemple. Dans pédagogie de l'autonomie, par exemple, Paulo Freire dit à plusieurs reprises que l'action éthique qui constitue la pédagogie comprend deux versants: a) la relation entre l'enseignant et les élèves b) la lutte pour de meilleures conditions de travail de la part des enseignants.
Par exemple, également, le fait de penser que la relation entre l'enseignant et les élèves est une relation technique me pose des problèmes éthiques. Car la technique induit une relation instrumentale: par exemple on parle de techniques de manipulation. Dans la technique, j'utilise un moyen efficace pour amener quelqu'un à réaliser les finalités que j'ai prévu ou j'utilse des dispositifs pour conduire autrui vers mes finalités.
Voir Par exemple Les ouvrages sur les ruses pédagogiques: https://www.meirieu.com/ESFEDITEUR/communique_ruses_educatives.pdf
C'est particulier: les ruses, c'est quand même un stratagème pour manipuler autrui... Est-ce que c'est vraiment cela le type de relations que l'on veut développer ?