Salut
je vous fais suivre ma petite note pour le site Q2C et le prochain n° de la revue N'Autre école
Greg
Les
Pédagogies critiques
La
sortie du livre Les Pédagogies critiques, coordonné par
Irène Pereira et Laurence De Cock et publié aux éditions Agone,
est un petit événement en soi. Il atteste de l’émergence d’un
courant pédagogique radical en France* et prolonge – dans une
perspective d’élargissement au « grand public » –
d’autres publications (Paulo Freire, pédagogues des
opprimé·es, Libertalia, 2018, Les Cahiers
de pédagogies radicales, automne 2018, etc.) ou initiatives
(différents stages et colloques tenus ces derniers mois). Il
s’inscrit assurément dans une dynamique de réappropriation des
questions pédagogiques par le mouvement social depuis une dizaine
d’années (dans la logique, par exemple, des stages syndicaux et
pédagogiques « Pase ** »).
Peut-être
nous autorise-t-il à snous prendre à rêver et à refermer une bien
trop longue parenthèse, du milieu des années quatre-vingt au début
des années 2000, où les débats éducatifs ont petit à petit été
phagocytés. La question scolaire s’est alors vue confisquée soit
par l’omniprésence médiatique des réac-publicains (dont les
porte-parole – Polony, Michéa et consorts – ont depuis
clairement basculé à droite) soit réduite à la seule approche
« défensive » contre la marchandisation de l’éducation
(dans les rangs de l’altermondialisme dont certaines figures, on
pense à Christian Laval ou encore Nico Hirtt, ont aujourd’hui
repensé leur rapport aux enjeux pédagogiques). Nous sommes nombreux
et nombreuses, en particulier au sein du collectif Q2C, à saluer et
accompagner cet effort de réintroduction de la question pédagogique
dans le champ militant et, parallèlement, à nous féliciter d’une
repolitisation de nos pratiques de classe… C’est donc un signal
fort, un encouragement à poursuivre la réflexion en renouant avec
un héritage dont les contributeurs et contributrices se
revendiquent, celui de Célestin Freinet et de Paulo Freire, ou
encore du mouvement ouvrier et des pédagogues libertaires qui sont
ici également convoqués. Mais les contributions sont moins tournées
vers le passé que vers l’étranger. Dans les zones lusophones,
hispanophones ou anglophones, la vitalité des différents courants
de la pédagogie critique est incontestable, et c’est sur ces
différents mouvements (pédagogie décoloniale, féministe, queer,
etc.) que les différentes contributions mettent l’accent.
L’ouvrage
est bref, le style est simple et direct, ce qui le rend accessible au
plus grand nombre. L’introduction d’Irène Pereira et la
conclusion de Laurence De Cock permettent de mettre en perspective
les six contributions issues d’horizons variés et qui passent en
revue les différentes références et usages des pédagogies
critiques : les inspirateurs (Freinet et Freire), l’actualité
et le dynamisme de ce courant, dont témoigne sa dimension
internationale, sa capacité à s’approprier concrètement les
enjeux sociaux actuels (la pédagogie féministe), sa réflexion sur
l’institution scolaire et son idéologie (la question de
l’enseignement de l’histoire et du fait colonial), le danger des
récupérations néolibérales et enfin, son ancrage au-delà des
salles de classe, à partir de l’exemple états-unien des pratiques
conscientisantes et militantes d’éducation populaire.
L’essentiel
du propos consiste avant tout à présenter une – ou des –
définitions de ce mouvement encore peu connu. En négatif – et en
référence aux travaux d’Henri Giroux, pédagogue critique
états-unien – les pédagogies critiques se définissent d’abord
en opposition à la pédagogie traditionnelle (conservatrice
pédagogiquement et politiquement) mais aussi à la pédagogie
« libérale » (qu’on qualifierait « d’alternative »
en France, pédagogiquement progressiste mais sans perspective
d’égalité sociale). La pédagogie critique se présente donc
d’abord comme une réponse à ces deux impasses.
La
pédagogie critique s’appuie d’abord sur les travaux les plus
avancés dans le domaine des sciences humaines (on se souvient que
c’était aussi le projet de la pédagogie institutionnelle et l’une
des causes de sa brouille avec le mouvement Freinet par nature
défiant vis-à-vis des chercheur·euses éloigné·es du quotidien
de la classe). C’est probablement dans l’étude des programmes
scolaires et des manuels que ses travaux sont aujourd’hui les plus
féconds. Elle, renoue en cela avec une tradition qui remonte à la
critique du mouvement ouvrier de l’idéologie de l’école de
Jules Ferry ou de celle du syndicalisme révolutionnaire enseignant.
Radicale aussi dans ses démarches d’analyse des dominations à
l’œuvre au sein de l’institution et dans la classe
(enseignant·es / enseigné·es mais aussi entre enseigné·s), la
pédagogie critique est aujourd’hui incontournable et heureusement
loin d’être un mouvement figé…
Mais
cela fait-il « pédagogie », au sens de Durkheim, à
savoir « une théorie pratique » ? À mon avis,
c’est en creusant deux horizons portés par les autrices et auteurs
que les pédagogies critiques pourront infuser dans nos
établissements.
Le
premier est de faire, selon la définition d’Irène Pereira, de
« la pédagogie critique [...] la transposition didactique des
théories critiques dans la salle de classe ou dans la formation
militante, afin de favoriser une conscientisation et un renforcement
de la capacité d’agir en vue d’une action collective de
transformation sociale pour la justice globale ». Le second
horizon est de « contribuer à remettre la question de la
transformation et de la justice sociale au cœur de la réflexion sur
l’école […] lutter contre le silence qui a peu à peu recouvert
les enjeux d’égalité et d’émancipation dans le domaine
scolaire ». Pour cela, l’interrogation que porte Laurence De
Cock dans la conclusion de l’ouvrage trace un chemin qui reste
totalement à défricher : « Que seraient des savoirs
émancipateurs ? C’est un peu la question que se posent tous
les férus et toutes les férues de pédagogie critique, et les
réponses ne peuvent résider que dans des hypothèses issues du
croisement entre les pratiques et la théorie. »
Grégory
Chambat
*
Bien que les autrices considèrent que l’espace francophone dans
son ensemble s’est tenu à l’écart du mouvement des pédagogies
critiques, on relèvera que des pays comme le Québec, la Belgique ou
bien encore la Suisse, ont une longueur d’avance sur la France. Il
n’en reste pas moins vrai qu’effectivement l’accès à toute
une littérature sur ces questions est encore très difficile dans le
monde francophone.
**
Les stages Pédagogies alternatives et syndicalisme d’émancipation,
lancés par Sud éducation 92, portés aujourd’hui par différents
mouvements syndicaux et pédagogiques
*** Voir
par exemple l’article de
Claire
Benveniste, « Professionnalisation
des enseignants et démocratisation scolaire : une formation
initiale pensée à l’aune de la réduction des
inégalités scolaires ? », Éducation
et socialisation n° 50.