Parlementaires de différentes sensibilités politiques, nous appelons les forces vives de notre pays et les citoyennes et citoyens à préparer, tous ensemble, le jour d’après.
Nous menons le combat contre le coronavirus et nous allons gagner ce combat. Notre priorité absolue est de préserver la santé de toutes et tous et de limiter les drames humains. Le confinement de la population est la seule solution, tout en soutenant au maximum notre système de santé et en reconnaissant mieux le travail admirable des femmes et des hommes qui le font tenir. Cette crise est aussi un ouragan économique et sociétal, aux conséquences encore incertaines. Nous devons protéger les individus face à la précarité́ engendrée par la baisse de l’activité, éviter la ruine des entreprises, des associations et des travailleurs indépendants, et préserver la stabilité́ de notre système économique et financier. C’est le sens du plan de sauvegarde mis en oeuvre par le gouvernement, dont nous soutenons la réactivité́ et l’efficacité́.
Mais, au-delà̀ de l’urgence de court-terme et malgré́ l'incertitude à moyen-terme, il est aussi de notre responsabilité́ de penser collectivement, dès à présent, au jour d’après. A notre avenir commun. Il y aura un avant et un après coronavirus. Il le faut. Cette crise nous aura tous transformés. Elle a violemment révélé́ les failles et les limites de notre modèle de développement, entretenu depuis des dizaines d’années. Elle nous rappelle le sens de l’essentiel : notre souveraineté́ alimentaire, notre besoin de sécurité́ sanitaire européenne, notre production locale pour des emplois de proximité́, le besoin de relever les défis environnementaux, de réapprendre à vivre en concordance avec la nature, de réinventer le lien social et le vivre-ensemble, de développer la solidarité́ internationale plutôt que de favoriser le repli sur soi.
Nous avons aussi des combats à mener pour le climat, la biodiversité, la solidarité, la santé et la justice sociale et nous devons tout faire pour gagner ces autres combats. Pour y arriver, il nous faudra de la rupture, de l’audace, de l’ambition, de nouvelles règles, des moyens décuplés. Il nous faudra réapprendre la sobriété, la solidarité et l’innovation. Un simple plan de relance ne suffira pas. Il nous faut réfléchir dès maintenant et collectivement à un grand plan de transformation de notre société́ et de notre économie.
Nous lançons, ce samedi 4 avril, et pour un mois (jusqu’au dimanche 3 mai) le site web lejourdapres.parlement-ouvert.fr pour soumettre au débat public nos premières pistes de solutions et pour permettre à tous de contribuer et de les enrichir. Des ateliers en ligne permettront de rythmer notre réflexion collective. Des communautés techniques seront aussi mobilisées pour un travail d’analyse de données. Une synthèse de la consultation sera rendue publique avant mi-mai. Cette démarche est au service de l’intérêt général, que chacun s’en saisisse librement !
De nombreuses solutions sont déjà avancées et nous en tiendrons compte, portées par experts et les scientifiques, les associations, syndicats, fédérations et de plus en plus collectivement, comme les « 66 propositions pour un pacte du pouvoir de vivre » défendues par 80 organisations. La mobilisation citoyenne est là, complétée par les 150 citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat qui porteront eux aussi, sans nul doute, des mesures très ambitieuses.
A nous toutes et tous de préparer, ensemble, le jour et le monde d’après.
Liste des parlementaires signataires :
Alauzet Eric (25); Anato Patrice (93); Atger Stéphanie (91); Bagarry Delphine (04); Balanant Erwan (29); Baichère Didier (78); Barbier Frédéric (25); Bouillon Christophe (76); Bournazel Pierre-Yves (75); Cariou Emilie (55); Chapelier Annie (30); Chiche Guillaume (79); Claireaux Stéphane (97500); Clément Jean-Michel (86); Dantec Ronan (44); de Courson Yolaine (21); de Temmerman Jennifer (59); Do Stéphanie (77); Dumas Frédérique (92); Dupont Stella (49); Durand Pascal (Député européen); Forteza Paula (FDE); Gaillot Albane (94); Garot Guillaume (53); Granjus Florence (78); Hammouche Brahim (57); Janvier Caroline (45); Josso Sandrine (44); Julien-Laferrière Hubert (69); Kerlogot Yann (22); Kheder Anissa (69); Kuric Aina (51); Laabid Mustapha (35); Labbé Joel (56); Lazaar Fiona (95); Lambert François-MIchel (13): Le Feur Sandrine (29); Maquet Jacqueline (62): Meynier-Millefert Marjolaine (38); Molac Paul (56); Muschotti Cécile (83); Orphelin Matthieu (49); Pancher Bertrand (55); Park Zivka (95); Pételle Bénédicte (92); Petit Valérie (59); Pompili Barbara (80); Potier Dominique (54); Provendier Florence (92); Racon-Bouzon Cathy (13); Raphan Pierre-Alain (91); Rilhac Cécile (95); Rossi Laurianne (92); Sarles Nathalie (42); Sage Maina (987); Sommer Denis (25); Taché Aurélien (95); Touraine Jean-Louis (69); Thillaye Sabine (37); Tuffnell Frédérique (17) ; Untermaier Cécile (71); Villani Cédric (91); Wonner Martine (67)
Vers la sobriété heureuse
Pierre RABHI
Pierre Rabhi, né en 1938 à Kenadsa, en Algérie. Fils d’un forgeron du sud algérien et orphelin de
Biographie
Synthèse
Un modèle qui ne peut produire sans détruire porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Le temps semble venu d’instaurer une politique de civilisation fondée sur la puissance de la sobriété.
Les semences de la rébellion
En Algérie, dans les années 50, c’en est fini de savourer le temps. Il ne faut plus perdre de temps, il faut travailler, aller plus vite, se mettre à l’heure de la nouvelle civilisation. Vit-on pour travailler ou travaille-t-on pour vivre ? L’ère du travail en tant que raison d’être est révolue. Pierre Rabhi a 20 ans. « Le germe de la rébellion a fini par éclore. La modernité m’est apparue comme une immense imposture. »
Les camarades de Rabhi qui croyaient au progrès déchantent. Un malaise s’installe… la joie de vivre ne s’achète pas, le plus-avoir ne rime pas avec mieux-être. Mai 68 s’insurge contre la société de consommation et aspire à de la modération car « surabondance et bonheur ne vont pas forcément de pair ». Les citoyens des pays prospères doivent être mobiles, pour garder un travail. Ils sont devenus des électrons hyperactifs hyper-stressés.
Quant aux paysans, considérés comme les attardés du progrès, ils ont été appelés sous les drapeaux pendant la guerre, et ensuite, ils ont du compenser les énormes déficits alimentaires lors de l’après-guerre.. C’est à l’énergie physique des paysans que la révolution industrielle doit son envol et qui a provoqué un véritable exil. Les paysans, intendants millénaires de la terre nourricière sont en voie de disparition. C’en est fini du paysan souverain libre en son petit royaume.
La modernité. Une imposture ?
« La modernité est l’idéologie la plus hypocrite de l’histoire humaine. Les acquis positifs de la modernité ne sont malheureusement pas venus enrichir les acquis antérieurs, comme si le génie de l’humanité n’avait été avant nous qu’obscurantisme, ignorance et superstition ».
Aujourd’hui, l’aspiration à plus de sens et à plus de bonheur de vivre dans la légèreté, ne cesse de croitre car l’individu prend conscience du caractère carcéral du système actuel. Il vit un enfermement. Il travaille en boîte, se divertit en boîte, part dans sa caisse, obsédé par l’écran de sa télévision, au milieu de serrures, de codes d’entrée, de caméra de surveillance… L’accès à l’information illimité donne une sorte d’hypermarché de l’information où tout et son contraire cohabitent. Faire silence, une diète d’information est aujourd’hui un acte de sobriété des plus bénéfiques ! « La modération est certainement un des moyens qui peut permettre au génie humain d’être au service de l’humain et du vivant. »
La modernité a évacué de la nouvelle pensée ce qu’on appelle la spiritualité pour la livrer à la vulgarité de la finance. Tout ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. L’argent rend l’humanité folle. L’homme est possédé par ce qu’il croit posséder. Pierres précieuses, diamants, or méritent-ils le sacrifice de tant de vies de mineurs pour que des femmes puissent les exhiber pour ainsi affirmer leur appartenance au monde des riches ?. « La finance donne cette sensation vaniteuse de puissance qui sert probablement d’antidote à la peur de l’insignifiance et de la finitude d’une vie humaine qui devient dérisoire lorsqu’elle ne se relie pas à la somptuosité du monde ». Or, l’or ne se mange toujours pas…
Les repères universels qui ont trait à la vie, à la mort, à la souffrance, à la métaphysique sont bouleversés. Dans le temps de nature cosmique, c’est nous qui passons pour aller vers un ailleurs pressenti. Dans la modernité, c’est le temps qui passe, indexé sur l’argent. « Les occidentaux inventent des outils pour gagner du temps et sont obligés de travailler jour et nuit ! ». Notre monde n’en devient que plus vulnérable et incohérent.
La sobriété, une sagesse ancestrale
« Naguère, dans un village africain de 200 personnes, il était presque impossible de collecter 150 euros ». L’argent n’existait pas et n’avait pas lieu d’exister ! Le troc et l’échange étaient le mode de régulation des biens. Le travail artisanal répondait à tous les besoins. Les assurances, les retraites, les sécurités sociales étaient assurées par un principe d’assistance mutuelle directe de génération à génération. Tout était sacré. Le lien social était si puissant que la solitude était inexistante. La mort était vécue comme un événement ayant un sens très concret. « La sagesse millénaire donnait une sobriété tranquille et heureuse qui faisait advenir en nous cette gratitude qui donne la plénitude de leur valeur à tous les présents de la vie, et à notre présence au monde. » Aujourd’hui, c’est l’argent, maître absolu, qui décide ce que sont les richesses et la pauvreté.
L’ « économie » est la négation même de l’économie. Le fameux « rien ne se crée, rien ne se perd » met en évidence que la nature n’a pas de poubelles et qu’elle a le gaspillage en horreur. Le peuple sioux vivait de sa chasse et ne prélevait que ce dont il avait besoin. Le gaspillage était défendu par leur morale, c’était une offense à la nature. Ce peuple avait compris que rien ne leur appartenait.
La sobriété heureuse relève pour Pierre Rahbi du domaine du mystique et du spirituel. « Il est dommage que le temps passé à essayer de savoir s’il existe une vie après la mort ne soit pas consacré à comprendre ce qu’est la vie, et, en comprenant son immense valeur, à agir pour un faire un chef-d’œuvre inspiré par un humanisme vivant et actif, au sein duquel la modération serait un art de vivre. » « Dieu donne pour que l’on donne ».
Vers la sobriété heureuse
En Algérie, orphelin de mère à 4 ans, Pierre Rahbi a été confié par son père forgeron à un couple de Français sans enfant. Il explique ses difficultés à grandir loin de sa famille traditionnelle et à assumer son appartenance à deux cultures porteuses de valeurs souvent contradictoires : tradition et modernité, islam et christianisme, nord et sud,… Adolescent, il s’intéresse aux philosophes, humanistes, mystique, à l’histoire. A la fin des années 50, il quitte l’Algérie pour la France. Il rencontre sa femme Michèle et travaille comme ouvrier. En 1961, il décide, sans un franc, de s’installer dans la Cévenne ardéchoise et d’acheter une petite ferme en contractant un emprunt soumis à la condition d’avoir des connaissances agricoles. Pierre Rahbi passe son brevet. Il vit là depuis 45 ans en ayant choisi la sobriété heureuse consciemment comme art de vivre.
Il est évident que des révoltes incontrôlables, de plus en plus violentes vont se multiplier si l’on ne met pas fin à la logique inhumaine d’aujourd’hui qui produit souffrance et indifférence. Sans renonciation à la surabondance et au lucre, rien ne sera possible. Cette autolimitation volontaire individuelle et collective doit devenir un art de vivre.
Les femmes sont les meilleures protectrices de la vie. « Peut-être devons-nous nous demander en un dernier courage aux femmes gardiennes de l’eau, du feu, de la terre de la Vie, de gravir les grandes éminences sacrées et faire offrande au Crépuscule du reste de notre ferveur pour que demain ne soit pas sans lumières ».
L’éducation est aujourd’hui une machine à fabriquer des soldats de notre société économique dans un terrible climat de compétition. La pédagogie devrait former l’humain à « être », à naître à lui-même, à devenir un être humain accompli, capable de penser, critiquer, créer, maîtriser ses émotions et spirituel. L’école doit être le lieu aujourd’hui de l’éducation à la sobriété. Si nous pouvons nous demander « Quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? », nous pouvons également nous soucier de « Quels enfants laisserons-nous à notre planète ? »
Devant le dénuement de beaucoup, l’arrogance des grands nantis, les personnes âgées démunies, le sort réservé aux animaux, comment ne pas pressentir un immense cyclone social ? Que de gâchis, de déchets, de gaspillage de la part des Etats ! On ne peut que s’indigner !
Mais indignons-nous de manière constructive. « Considérons le passé comme un patrimoine à réhabiliter et à harmoniser avec ce que la modernité a produit de positif et que l’appât du gain a pris en otage en le privatisant. » Action et réaction constituent la trame de l’histoire. L’avenir ne sera que ce que nous en ferons et rien d’autre. Pierre Rabhi appelle à l’insurrection des consciences. Seul le choix de la sobriété, de la modération de nos besoins et désirs permettra de rompre avec la tyrannie de la finance et de la mondialisation !
Nous avons eu le bonheur de l'entendre....et en gardons un souvenir heureux..... petit partage mais cela ne vaut aucun de ses partages directs....
Sylvie et Eric
MERCI Max !!!!
[Article complet]
Pablo Servigne, théoricien de l’effondrement : « Cette crise, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie »
La pandémie due au coronavirus est, selon lui, une « crise cardiaque générale », qui montre l’« extrême vulnérabilité de nos sociétés ».]
Crise sanitaire, chômage de masse, pénuries de médicaments, risque de rupture des chaînes d’approvisionnement… Le coronavirus est-il le signe d’un effondrement à venir de notre civilisation, tel que l’ont pensé les collapsologues ?
Pour Pablo Servigne, l’un des principaux théoriciens de la collapsologie, coauteur de plusieurs livres, dont le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), la pandémie de Covid-19 est une « crise cardiaque générale », qui montre l’« extrême vulnérabilité de nos sociétés ». Il appelle à renforcer les solidarités, le local, l’autolimitation et l’autonomie.
La pandémie de Covid-19 constitue-t-elle un signe avant-coureur d’un effondrement à venir de notre civilisation ?
C’est un signe avant-coureur de possibles effondrements plus graves. La pandémie montre l’extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d’interconnexion, de dépendances et d’instabilité.
Elle montre aussi très bien la stupidité, la criminalité et la contre-productivité des politiques néolibérales qui vont à l’encontre du bien commun, en ayant démantelé – entre autres – les services de santé, ou en n’ayant pas suffisamment prévu de stocks de masques.
Est-on pour autant en train de vivre un effondrement ? C’est une question pour les archéologues du futur. Ce qui me semble évident, c’est que l’on est en train de vivre une crise cardiaque générale. Plus on attend, plus les tissus se nécrosent, et plus il sera difficile de repartir comme avant.
Le piège serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. En réalité, elle a des causes et des conséquences externes à la santé – économiques, écologiques, politiques, financières. C’est une crise globale, systémique. Nous n’étions pas du tout préparés à un choc aussi rapide et brutal, d’abord parce que ce n’est jamais arrivé sous cette forme, mais surtout parce que la plupart des gens ne voulaient pas y croire, malgré les avertissements scientifiques depuis des années.
Comment avez-vous réagi devant l’ampleur de la crise en cours ?
C’est paradoxal : j’anticipais beaucoup de graves crises, en particulier financière, climatique ou énergétique, mais celle-là, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie.
Pendant quelques jours, j’ai été sidéré, anesthésié. J’ai vécu ce déni que nous décrivons dans nos livres. Lorsque j’ai changé mon quotidien, un peu avant la plupart des gens, j’ai même culpabilisé de mettre en place des mesures antisociales, par crainte de passer encore pour un catastrophiste.
La leçon que j’en tire, c’est qu’au fil des années, lassé de passer pour un oiseau de mauvais augure, d’être toujours accusé d’exagérer le propos, j’ai « lissé » ma présentation des risques : dans les conférences ou les articles, je ne citais même plus les pandémies, parce qu’elles font très peur. Je me suis pris à mon propre piège de vouloir tempérer mes propos pour parler à un grand public.
Cette crise sanitaire et économique pourrait-elle déboucher sur un effondrement généralisé ?
Cela pourrait être le cas par des enchaînements et des boucles de rétroactions, dont les conséquences sont par définition imprévisibles.
Par exemple, si la finance s’effondre, met à mal les Etats, provoque des politiques autoritaires ou identitaires, cela pourrait déboucher sur des guerres, des maladies et des famines, qui, elles, interagissent en boucle. C’est un risque, mais ce n’est pas inexorable.
Quand on voit les millions de nouveaux chômeurs, l’état des finances, la dépendance aux importations d’énergie, les tensions accumulées en France qui font qu’on a une poudrière sociale, la perte de confiance envers les gouvernements, la compétition entre pays qui s’accroît, on voit que la pandémie a considérablement augmenté les risques d’effondrement systémique.
Pourtant, on est encore loin de la définition de l’effondrement donnée par Yves Cochet [ex-ministre de l’environnement et un des penseurs de la collapsologie] : l’absence d’accès aux besoins de base (alimentation, eau, logement, santé, etc.) par des services encadrés par la loi.
On s’en rapproche potentiellement. Dans cette « crise cardiaque », le corps social est encore vivant, mais si ça continue et si des mauvaises décisions sont prises, on risque la désintégration rapide des services « encadrés par la loi ».
Avec la collapsologie, nous avons surtout mis en évidence que des grands chocs systémiques étaient possibles. Les catastrophes sont désormais la réalité de la génération présente : nous en vivrons de plus en plus tout au long du siècle. Non seulement elles seront plus fortes et plus puissantes, mais elles viendront de toutes parts (climat, économie, finance, pollutions, maladies…). Cela pourra provoquer des déstabilisations majeures de nos sociétés et de la biosphère, des effondrements.
Comment analysez-vous la réaction des gouvernements face à la pandémie ?
Le gouvernement a réagi de manière tardive et autoritaire, et assez maladroite. D’une certaine manière, on peut le comprendre car c’est la première pandémie que l’on vit depuis des décennies, et la première qui ne soit pas une grippe influenza.
Mais le problème est qu’il y a une grande défiance envers les autorités depuis des mois, voire des années, dont elles sont les principales responsables. Alors, pour être entendus, les pouvoirs publics ont dû jouer la surenchère autoritaire, ce qui va renforcer à terme la perte de confiance. C’est une mauvaise trajectoire, qui peut déboucher sur une crise sociale et politique majeure en France.
Les gouvernements réagissent aussi avec une rhétorique militaire, en faisant appel à la police et à l’armée. Je ne vois pas un état de guerre, je vois un état de siège. Comme une citadelle assiégée, tout est à l’arrêt, et pour tenir le plus longtemps possible, confinés, il nous faut prendre soin les uns des autres, réduire nos besoins, partager. L’ennemi n’est pas extérieur mais intérieur, nous devons revoir notre rapport au monde.
La vie confinée nous prépare-t-elle à la vie dans une société effondrée ?
La plupart des Français vivent encore dans de très bonnes conditions, avec de la nourriture, de l’eau, une sécurité et Internet. Mais une partie de la population est déjà effondrée en quelque sorte, les soignants, les précaires, les malades, les endeuillés.
Reste que le confinement est une expérience très intéressante de renoncement : on renonce aux transports, aux voyages, etc. Dans quels cas est-ce désagréable ou agréable ? Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse. Cela nous apprend l’autolimitation et l’humilité, ce qui est capital pour la suite.
Beaucoup de propositions affluent déjà pour construire le « monde d’après ». Comment le voyez-vous ?
La pandémie a créé une brèche dans l’imaginaire des futurs politiques, où tout semble désormais possible, le pire comme le meilleur, ce qui est à la fois angoissant et excitant.
Il faut d’abord assurer une continuité des moyens d’existence des populations, tout en retrouvant une puissance des services publics du « soin » au sens large (alimentation, santé, social, équité, écologie…), ce qui peut se faire rapidement par des politiques publiques massives et coordonnées, de type création de la sécurité sociale, New Deal, plan Marshall, etc.
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Mais une politique publique forte ne garantit pas un changement profond et structurel. C’est donc le moment de tourner la page de l’idéologie de la compétitivité et de l’égoïsme institutionnalisé et d’aller vers plus de solidarité et d’entraide.
Il faut aussi retrouver de l’autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, industriel et capitaliste ; tout ce qui amène à revenir à la vie, à contrer une société mortifère. Les changements devront être sociaux et individuels, c’est-à-dire que l’enjeu est politique et spirituel. S’il manque l’une des deux faces, je pense que c’est voué à l’échec. Sans oublier le plus important, c’est un processus commun, délibératif, le plus démocratique possible.
Je suis aussi persuadé qu’on va vivre une succession de chocs qui vont restructurer nos sociétés de manière assez organique. On va un peu concevoir ces transformations mais surtout les subir. La grande question est de savoir si on arrivera à s’adapter. Quand on soumet l’organisme à des chocs répétés, il se renforce à terme, sauf si les chocs sont trop rapides et trop forts ; dans ce cas, il meurt.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/10/pablo-servigne-cette-crise-je-ne-l-ai-pas-vue-venir-alors-que-je-la-connaissais-en-theorie_6036175_3244.html